lundi 30 janvier 2017

Un champ



C'est un champ qui ne demande qu'à être traversé. On peut même s'y arrêter et poser ses fesses sur une herbe que ponctuent ça et là quelques bouses de vaches. Il n'est pas en pente, ni particulièrement plat. Il s'est fait sans façon avec l'orchestre du vent. C'est un champ qui mène à un autre champ un peu plus petit où l'on croise parfois des lièvres. J'y ai suivi un chevreuil quelques minutes avant qu'il ne s'enfonce dans la nuit. C'est un champ qui, les jours de beaux temps, vous offre un ciel de derrière les fagots. Je ne sais pas à qui il appartient. J'y ai vu paître des brebis et parfois des vaches. Depuis son centre, on peut y voir une Auvergne crénelée de volcans. La barrière qui l'entoure a été plantée il y a longtemps. Parfois, il m'arrive de passer mes mains sur ses poteaux en me demandant quel âge j'avais quand il ont été plantés. J'examine, palpe et renifle ces bouts de bois torréfiés par le soleil et j'opte souvent pour l'année de mes dix ans. A la fin de l'été, les vents tièdes font bruisser les hêtres et les châtaigniers qui l'entourent comme des dizaine de colliers de perles que l'on agiterait doucement. C'est le chant du champ, sa mélopée de bienvenue et d'adieu qui me permet de le quitter avec la certitude de le retrouver.


Petit viatique de l'honnête homme (5)





Une vie ordinaire


mardi 24 janvier 2017

Petit viatique de l'honnête homme (3)




Selon sa propre constitution


Ce n’est pas de transpirer comme les plantes qui est chose estimable, ni de souffler comme les troupeaux et les animaux sauvages, ni d’être impressionné par l’imagination, ni d’être mû comme une marionnette par ses impulsions, ni de s’attrouper, ni de se nourrir, car tout cela est du même ordre que l’excrétion des résidus de la nourriture. Qu’y a-t-il de digne d’estime ? Etre applaudi par des battements de mains ? Non. Ce n’est donc pas non plus le fait d’être applaudi par des battements de langues, car les félicitations de la foule ne sont que des battements de langues.     Tu dois aussi répudier la gloriole. Que reste-il alors de digne d’estime ? Il me semble que c’est régler son activité et son repos selon sa propre constitution.

Marc-Aurèle

lundi 23 janvier 2017

Petit viatique de l'honnête homme (2)


L'univers, son revenu et le minimum




Comme l'écrit fort justement Mona Cholet dans son article du Monde Diplomattique : « Du Forum économique de Davos à la Silicon Valley en passant par les assemblées du mouvement Nuit debout en France, le revenu de base est sur toutes les lèvres depuis quelques mois. La Finlande affirme vouloir l’instaurer ; les Suisses ont voté sur le sujet en juin. Mais, entre l’utopie émancipatrice que portent certains et la réforme limitée que veulent les autres, il y a un monde… ». 


mercredi 11 janvier 2017

Une image fugitive de plus




On a peine à croire à quel point est insignifiante et vide, aux yeux du spectateur étranger, à quel point stupide et irréfléchie, chez l'acteur lui-même, l'existence que coulent la plupart des hommes : une agitation qui se traîne et se tourmente, une marche titubante et endormie, à travers les quatre âges de la vie, jusqu'à la mort, avec un cortège de pensées triviales. Ce sont des horloges qui, une fois montées, marchent sans savoir pourquoi. Chaque fois qu'un homme est conçu, l'horloge de la vie se remonte, et elle reprend sa petite ritournelle qu'elle a déjà jouée tant de fois, mesure par mesure, avec des variations insignifiantes. Chaque individu, chaque visage humain, chaque vie humaine, n'est qu'un rêve sans durée de l'esprit infini qui anime la nature, du vouloir vivre indestructible ; c'est une image fugitive de plus, qu'il esquisse en se jouant sur sa toile immense, l'espace et le temps, une image qu'il laisse subsister un instant, et qu'il efface aussitôt, pour faire place à d'autres.

Arthur Schopenhauer, Le monde comme volonté et comme représentation 


mercredi 4 janvier 2017

John Berger (1926-2017)




Romancier sensible, critique d’art marxiste rendu célèbre dans les années soixante-dix par son essai Voir le voir, John Berger fut aussi le scénariste du cinéaste Alain Tanner. 

Comme l'écrit Mona Chollet, John Berger ne sépara jamais la peinture et l’écriture de l’engagement politique. Il y vit des moyens de résistance très concrets. 

" La plupart des mots, aujourd’hui, sont salis par l’usage mensonger qu’en font les médias, les politiciens. Pas par les gens, je crois : c’est le pouvoir qui salit les mots. Les gens, de plus en plus, en réaction, disent “merde”. Et dans ce contexte, “merde”, c’est un mot très propre. "