vendredi 9 mars 2018

Il y a toujours mieux que la mort



On sait pourtant que dans un monde si désastreusement unifié, on ne peut se sauver tout seul, non seulement pour la raison qu’il n’y a nulle part où s’en retirer, ni aucune manière de s’en abriter ; mais encore pour celle-ci que ce serait pour rien : nous avons pour être heureux besoin de la société du genre humain. On n’a donc pas le choix que de travailler à la sauver. Mais par où commencer ? 

Disons qu’il faut commencer de se sauver tout seul, que c’est une obligation que l’on a envers soi-même de se désabuser de toutes les crédulités de la vie moderne, ses faux plaisirs et ses ersatz, ses nécessités prétendues et ses représentations trompeuses, qui nous troublent et nous égarent ; que ce n’est pas un austère devoir mais au contraire qu’il y a beaucoup d’agrément à connaître la contradiction de son esprit avec le néant de cette vie mimétique, vie toujours honteuse et souvent ridicule, d’ailleurs empoisonnée et qui ne vit même pas. 

Et ce serait le diable que l’on ne rencontrât pas bientôt d’autres musiciens de Brême partageant le même intéressant secret : il y a toujours mieux que la mort. D’où l’on pourra songer à vérifier la validité de cette autre maxime qui peut mener loin, et même jusqu’à l’idée qu’il serait enfin possible de vivre : les hommes ne sont limités par rien que par des opinions.

Encyclopédie des Nuisances, Remarques sur la paralysie de décembre 1995