vendredi 21 décembre 2018

Comme Nankuo Tsa-ts'i



Au dehors, le dos appuyé à la paroi, il a étendu ses jambes devant lui. Son regard vagabonde en contrebas puis remonte vers les falaises pour errer sur le causse qui, à cette heure, n'est plus qu'un plateau de brume scintillante. 
Le soleil a passé la barrière d'yeuses et le réchauffe doucement. Son esprit se fait plus lent. Ses pensées s’étiolent pour n'être plus que des sensations qui s'éparpillent dans les arbres et les roches. 
Mazet s’évanouit dans un stand by si vaporeux qu'il en oublie sa dissolution. A cet instant - mais peut-on parler d'instant dans ce long déroulé qui l’abolit ? -, il n'est pas plus que la roche où il s'appuie, pas moins que le rapace qui plane au-dessus des bois. 
Il n'est pas moins absent que ce vieux Ferguson rouge et immobile au milieu du champ. 
Il n’est pas plus présent que cette bille de brindilles que roule un scarabée à quelques centimètres de son pied. Peut-être est-il alors semblable à Nankuo Tsa-ts'i qui rendait son corps semblable au bois mort et son esprit pareil à la cendre ? 
Un chevreuil s'est approché et broute sans méfiance à ses côtés. Pourquoi se défierait-il de celui qui n'est pas plus qu'un arbre ? L’animal mâche son herbe, la rivière coule en de lentes plaques vertes et les nuages font comme des toupets au ras de l'horizon. Lorsqu’il perçoit enfin la présence de l’animal celui-ci détale d'un bond et disparaît. 

Antoine Samano, Les enfants de Moloch