lundi 15 juin 2020

Nevermore




Quels avènements confortent en vous l'idée que l'aimée vous va ? Est-ce un mot dans le courant d'une conversation ? L'atmosphère qu'elle sait créer autour de vous ? Cette façon, pour l'air, de se densifier quand elle entre dans la pièce ? Un acte ? Une façon de réagir ? Où, comme le dit Truffaut, ce moment où vous réalisez que vous agissez contre vos intérêts – preuve absolue dans une époque qui voue un culte féroce au retour sur investissement ?
Amélie avait, dans le balancement du plaisir, un sourire qui en épurait les scories. Son bonheur recouvrait notre chambre d'or tranquille. Dans le roulis, ses seins étaient comme deux barges de débarquement. Ce n'était pas rien, ce don, dans l'océan où nous nous débattions. J'ai aimé son calme, son habileté à détailler la beauté, cette attention aux souffles les plus légers. Elle écrivait un mémoire sur les hôtels particuliers de la vieille ville. Ai-je dit que nous aimions les livres ?
C'est au soir de je ne sais quel hiver. Au-dehors la neige n’a cessé de tomber depuis le matin et recouvre tout. Le pays voit ses routes et l’électricité coupées. Le monde a repris taille humaine, il se meut désormais à la seule force des pieds. Amélie est assise face à la cheminée. Son profil danse doucement. Il n’y a plus de téléphone, plus de mensonges, il n’y a plus que les collines et les arbres autour de la maison immobilisée par les flocons. Sur la table, il y a un bol empli de noix, deux livres et son paquet de cigarettes. Je suis allé chercher du bois. Demain, je n’irai pas travailler. Amélie me regarde : voilà le monde que nous désirons. Nous nous enlaçons face aux flammes. Son parfum est une poudre étoilée, sa bouche se pose sur mon cou. Le silence nous enveloppe. Tissé par l’instant, le présent redevient quelque chose de possible.
Nous sommes allé dîner au Puy après une journée à lézarder devant la maison qu'on nous a prêté près du lac du Boucher. Dans un restaurant de la vieille ville, nous mangeons deux pigeons accompagnés d'une bouteille de ce Chanturgue qu'Amélie a voulu me faire connaître. Ce vin m'étonne, Amélie m'assure que César en fait mention dans la Guerre des Gaules. J'aime la façon dont sa main entoure son verre et décortique la chair du volatile. Elle boit jusqu'à en avoir les joues roses et me donne à chaque fois l'impression de laper une source. Quand nous sortons, les lampadaires qui éclairent la ruelle sont éteints. Nous sommes un peu saouls. L’air sent le feu de bois et la pierre humide. Amélie m’embrasse et son rire s’élève pour annoncer l’An mille.