jeudi 26 mai 2016

Ecce homo



Je dis que l'homme qui est capable, grâce à son intelligence, de sentir tout le poids de la tyrannie, mais se trouve en même temps incapable, par son propre manque de force et par l'absence de celles d'autrui, d'en secouer le joug, cet homme doit avant tout se tenir loin du tyran et de ses satellites, de ses infâmes honneurs, de ses charges iniques, de ses vices, mensonges et corruptions, de ses terres, des murs qui l'entourent et même de l'air qu'il respire. Il faut que cet homme, dans un austère et complet éloignement, qui ne sera jamais exagéré, recherche moins sa propre sécurité que l'estime de lui-même et la pureté de sa réputation ; l'une et l'autre étant toujours plus ou moins contaminées quand on approche, d'une manière quelconque, de l'atmosphère pestilentielle des cours.

[Il doit] penser, pour se soulager, et pour retrouver dans le juste orgueil de celui qui pense une compensation à l'humiliation de celui qui sert ; parler aux quelques individus qui se révèlent bons et qui sont dignes de connaître la vérité ; écrire enfin, d'abord pour se libérer soi-même, mais lorsque les écrits ont une certaine élévation, savoir tout sacrifier à la louable gloire d'être vraiment utile à tous.

Vittorio Alfieri, De la tyrannie.