lundi 28 septembre 2015

L'image et son double


Le premier essor du cinéma, comme cinéma primitif, est aussi contemporain du premier assaut prolétarien généralisé contre la capital. Et l'époque du cinéma classique est aussi celle de la contre-révolution triomphante, y compris la réalisation du marxisme (1920-1960). Enfin l'inquiétude qui s'empare du cinéma à la fin des années 50 est contemporaine du retour de la révolution, d'abord sous forme d'inquiétude, dans toutes les sociétés modernes.
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Le cinéma doit représenter le négatif d'une manière qui fait croire que le monde peut aisément retrouver une unité calme et heureuse. Plus le cinéma est négatif, meilleur il est ; mais s'il cessait de démontrer que l'unité calme et heureuse est accessible par des moyens non dialectiques, il cesserait d'exister. C'est sa misère propre.
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Mais si le cinéma cesse d'inclure le négatif, il devient nul. La poésie cinématographique, comme toute la poésie, ne peut fonctionner que sur le double entendre, au minimum grâce à ce que les cinéphiles appellent inadéquatement des "symboles" (les "symboles phalliques", etc.) présents dans l'image et la démentant pour en constituer le sens réel en supprimant le sens apparent.

Jean-Patrick Manchette, 57 notes sur le cinéma


Gene