vendredi 24 mars 2023

Bloquer ou Le devenir hubistes des luttes

 


A tant défiler (ou courir) dans les rues ces jours-ci, on en vient à s'interroger sur l'efficacité stratégique de telles actions. Dans l'essentiel rapport de force qu'il nous faut établir avec le Capital, quelques signaux forts peuvent être ainsi envoyés, à l'image de ceux décrit par l'universitaire Gilles Paché dans un article publié dans the Conversation et repris par nombre d'autres média.

"Si la vulnérabilité du modèle des hubs n’est pas ignorée, elle reste en tout cas largement minorées. En effet, un hub est une sorte de nœud logistique vers lequel convergent des millions de produits avant d’alimenter les marchés, autrement dit la demande des consommateurs. Si une action coordonnée est conduite par quelques manifestants et syndicalistes pugnaces, qui bloquent les entrées et sorties du hub, le risque d'asphyxie de la chaîne logistique devient maximal. 

Imaginons en outre un instant que les hubs se regroupent sur un même lieu, par exemple pour bénéficier de facilités d’accès à des infrastructures routières ou ferroviaires, mais aussi de la mise en commun de services aux professionnels. Là aussi, il suffit de s’intéresser au secteur de la logistique pour découvrir qu’il s’agit d’une réalité courante : celle des « centres de fret » et autres « zones logistiques », dont un exemple remarquable est fourni par la zone logistique de Saint-Martin de Crau, dans les Bouches-du-Rhône, au bord de l’autoroute qui relie Marseille à l’Espagne et à l’Europe du Nord. Dans ce cas, quelques dizaines de grévistes bien placés sur le site bloqueront sans difficulté… une vingtaine de hubs d’entreprises à la fois, voire plus.

On parle souvent de la fragilité de la chaîne logistique de l’automobile, apparue au grand jour pendant la crise du COVID lorsque des approvisionnements en matières et composants ont été interrompus. Pourtant, c’est au niveau de la distribution alimentaire que la vulnérabilité des hubs pourrait avoir les effets les plus importants. En effet, les magasins et drives alimentaires fonctionnent selon une logique de stock zéro, notamment pour améliorer leur performance financière. C’est par conséquent un approvisionnement journalier par un hub (entrepôt ou plate-forme) qui a été mis en place, et il suffit que le hub soit bloqué pour qu’en l’espace de quelques jours, les rayons soient totalement dégarnis, avec les comportements hystériques de certains consommateurs que nous avons connus en 2020.

Un célèbre distributeur alimentaire a connu une telle mésaventure il y a quelques décennies de cela. Un conflit du travail d’une rare intensité a conduit au blocage de l’un de ses hubs, pendant près d’une année, par une trentaine de syndicalistes. Ces militants ont ainsi obligé le distributeur à faire livrer ses magasins du Sud-Est de la France à partir d’un hub déporté, localisé à plusieurs centaines de kilomètres de là. Résultat : une explosion des coûts de livraison qui a entraîné une augmentation des prix de vente des produits et la défection d’une partie importante de la clientèle des magasins. Autrement dit, une trentaine de personnes ont « mis à genoux » l’un des plus puissants distributeurs français, sachant qu’il est loin d’être le seul à avoir connu une telle mésaventure."