lundi 23 novembre 2015

Le plus grand espoir


Les traces de peinture à la chaux, la cuvette ébréchée, les hardes, la pauvre chaise, roulée par la mer sans bord de mon herbe, ne le céderont en rien au décors impeccables, aux riches toilettes. Il n’est rien qui vaille que cela change et rien ne vaudrait plus rien si cela changeait. Le plus grand espoir, je dis celui en quoi se résument tous les autres, est que cela soit pour tous et que pour tous cela dure ; que le don absolu d’un être à un autre, qui ne peut exister sans sa réciprocité, soit aux yeux de tous les seule passerelle naturelle et surnaturelle jetée sur la vie.
 
André Breton, L’amour fou


Comment défendre Paris




A leur retour Panurge consideroit les murailles de la ville de Paris, & en irrision dist à Pantagruel. Voy ne cy pas de belles murailles, pour garder les oysons en mue? Par ma barbe, elles sont competentement meschantes pour une telle ville comme est ceste cy, car une vasche avecques ung pet en abattroit plus de six brasses. O mon amy, dist Pantagruel, scez tu pas bien ce que dist Agesilaus, quand on luy demanda: Pourquoy la grande cité de Lacedemone n'estoit pas ceincte de murailles? Car monstrant les habitans et citoyens de la ville tant bien expers en discipline militaire, tant forz & bien armez. Voicy, dist il, les murailles de la cité. Signifiant qu'il n'est murailles que de os, et que les villes ne sçauroient avoir muraille plus seure & plus forte que de la vertuz des habitans. Ainsi ceste ville est si forte par la multitude du peuple bellicqueux qui est dedans, qu'ilz ne se soucient point de faire aultres murailles. Et davantaige, qui la vouldroit emmurailler comme Strasbourg ou Orleans, [ou Carpentras,] il ne seroit possible, tant les frays seroient excessifz. Voire mais, dist Panurge, si faict il bon avoir quelque visaige de pierre quand on est envahy de ses ennemys, et ne feust ce que pour demander, qui est là bas? Et au regard des frays enormes que dictes estre necessaires si l'on la vouloit murer, si messieurs de la ville me veullent bien donner quelque bon pot de vin, ie leur enseigneray une maniere bien nouvelle, comment ilz pourront bastir à bon marché. 
Et comment? dist Pantagruel. Ne le dictes donc pas, respondit Panurge, si ie vous l'enseigne. Ie voy que les callibistrys des femmes de ce pays, sont à meilleur marché que les pierres. D'iceulx fauldroit bastir les murailles en les arrangeant en bonne symmetrie d'architecture, & mettant les plus grans au premiers rancz, et puis en taluant à doz d'asne arrangeant les moyens & finablement les petitz. Et puis faire ung beau petit entrelardement à poinctes de diamens comme la grosse tour de Bourges, de tant de vitz qu'on couppa en ceste ville es pouvres Italiens à l'entrée de la Reyne. Quel diable desferoit une telle muraille? Il n'y a metal qui tant resistat aux coups. Et puis que les couillevrines se y vinssent froter. Vous en verriez par dieu incontinent distiller de ce benoist fruict de grosse verolle menu comme pluye. Sec au nom des diables. Davantaige la fouldre ne tomberoit iamais dessus. Car pourquoy? ilz sont tous benitz ou sacrez. Ie n'y voys qu'ung inconvenient. 
Ho ho ha ha ha, dist Pantagruel. Et lequel? C'est que les mousches en sont tant friandes que merveilles, & se y cueilleroient facillement & y feroient leur ordure, & voilà l'ouvrage gasté & diffamé. Mais voicy comme l'on y remedroit. Il fauldroit tresbien les esmoucheter avecques belles quehues de renards, ou bons gros vietz d'azes de Provence. Et à ce propos ie vous veulx dire, nous en allant pour soupper ung bel exemple. 

François Rabelais, Pantagruel.