Le Parlement commence l’examen d’une proposition de loi qui vise à renforcer fortement les pouvoirs des forces de l’ordre et à entraver la liberté d’informer.
Rappelez-vous l’affaire Benalla, ou l’affaire Cédric Chouviat… Dans ces deux cas, filmer les forces de l’ordre avait permis de révéler la vérité. Cela sera-t-il encore possible ? Pas certain. La proposition de loi relative à la « sécurité globale », examinée ce mercredi 4 novembre en commission des lois à l’Assemblée nationale, pourrait fortement restreindre la possibilité de diffuser des images des forces de l’ordre — et donc les violences policières.
Présenté par deux députés En Marche, l’avocate Alice Thourot et Jean-Michel Fauvergue, ancien chef du Raid et commissaire de police à la retraite, le texte vise à « relever les nouveaux défis pour la sécurité des Français ». Il comporte une grande diversité des mesures : renforcement des pouvoirs de la police municipale et des agents de sécurité privée, utilisation des drones et caméras portées directement par les agents dans une grande variété de situations, forte limitation de la diffusion des images d’agents des forces de l’ordre sur les réseaux sociaux, possibilité ouverte aux policiers de conserver sur eux leur arme de service hors des heures de travail y compris dans les lieux publics…
Ce texte « est un
fantasme des plus réactionnaires et des plus sécuritaires »,
dénonçait mardi 3 novembre l’avocat Arié Alimi, membre du
bureau national de Ligue des droits de l’Homme, dans une interview au site Regards.
Les députés En Marche tiennent une promesse ministérielle
Attardons-nous sur la forme, d’abord, qui interroge. Ce texte est une proposition de loi, donc présentée par des députés. Elle est pourtant défendue par le ministre de l’Intérieur lui-même, Gérald Darmanin, dans les médias. Le 2 novembre, sur BFM, il se félicitait que le texte lui permette de tenir sa promesse « de ne plus pouvoir diffuser les images des policiers et les gendarmes sur les réseaux sociaux ».
Ce choix a deux avantages pour le gouvernement. Premièrement, contrairement à un projet de loi — présenté par l’exécutif —, la proposition de loi peut se dispenser d’étude d’impact et d’avis du Conseil d’État. Seule exception : le journal Nextinpcat a affirmé que le Conseil d’État publierait dans la semaine un avis sur la disposition concernant les drones, mais seulement eux.
Deuxième avantage pour l’exécutif, passer par une proposition de loi lui permet de gagner du temps. Alors que la fin du quinquennat approche, que la crise sanitaire a retardé les travaux parlementaires, l'exécutif craint de ne pouvoir faire aboutir tous ses projets législatifs. Or, confier un texte à un député permet de l’étudier sur le temps imparti aux parlementaires, plutôt que d’empiéter sur le planning de l’exécutif.
« Quand on attribue de gros pouvoirs, il faut prévoir les abus de pouvoir »
Sur le fond, la proposition de loi assure vouloir assurer un « continuum de sécurité », d’où la formule de « sécurité globale ». La coordination entre forces de l’ordre nationales, policiers municipaux et agents de sécurité privée doit être améliorée, selon l’exposé des motifs. Ainsi, une expérimentation de trois ans pour étendre les pouvoirs des policiers municipaux est prévue (possibilité de faire des relevés d’identité pour trafic de drogue ou conduite sans permis, d’immobiliser un véhicule, etc). La création d’une police municipale à Paris est autorisée.
Les pouvoirs des agents de sécurité privée seraient également étendus. Ils pourraient notamment constater des infractions, dresser des procès-verbaux, prendre l’identité des personnes et contacter des officiers de police ou de gendarmerie. La personne « interpellée » devrait alors attendre que les forces de l’ordre soient contactées, sous peine d’amende et de deux mois de prison.
« Les personnes qui vont exercer ces nouveaux pouvoir auront-elles la formation [adéquate] ? Des mécanismes de responsabilité sont-ils prévus en cas de violation des droits humains ? Voilà les questions que l’on doit se poser » à propos de ces deux premiers titres de la loi, dit à Reporterre Anne-Sophie Simpere, chargée de plaidoyer à Amnesty International France. « Quand on attribue de gros pouvoirs, il faut prévoir les abus de pouvoir. » Notons que son association a été la seule organisation de défense des libertés auditionnée par les députés lors de la préparation de la proposition de loi qui prévoit d’étendre les pouvoirs des policiers et gendarmes. La « sécurité globale » passe par « une utilisation adaptée des outils technologiques à disposition », explique l’exposé des motifs. Ces « outils technologiques » sont en l’espèce les caméras-piétons, c’est-à-dire les petites caméras que les agents peuvent porter sur leur uniforme ; et les drones ou autres moyens de filmer de façon aérienne.
« C’est un passage à la surveillance de masse »
L’article 21 élargit l’usage des images captées par les caméras-piétons des forces de l’ordre : ces images pourront désormais être diffusées « pour l’information du public ». « Que vont-ils faire ? Diffuser largement les images de ces caméras-piétons ? Cela ne permet pas le respect de la vie privée », s’inquiète Anne-Sophie Simpere.
Par ailleurs, ces images pourront aussi désormais être visualisées en temps réel « au poste de commandement ». Or, « la police est autorisée depuis 2012 à utiliser des logiciels de reconnaissance faciale », rappelle La Quadrature du Net dans son analyse de la loi. Il serait alors possible, dans les manifestations, de « renseigner en direct les agents de terrain sur l’identité des nombreux militants et militantes qu’ils croiseront », éventuellement pour les interpeller préventivement et les empêcher de manifester, s’inquiète l’association.
- Il serait possible, dans les manifestations, de « renseigner en direct les agents de terrain sur l’identité des nombreux militants qu’ils croiseront ».
Enfin, les agents portant la caméra pourront désormais visualiser les images, ce qui n’était pas le cas avant. Une interdiction d’ailleurs considérée par la Cnil (Commission nationale informatique et libertés) comme une « garantie essentielle ». En effet, explique Anne-Sophie Simpere, « il y a un risque d’usage malveillant, que les policiers ou gendarmes visualisent les images et se mettent d’accord sur une version des faits ».
Ce n’est pas tout. L’article 22 s’intéresse lui aux « caméras aéroportées ». Comprenez les drones ou caméras installées sur des hélicoptères. Une longue liste de circonstances dans lesquelles ils peuvent être utilisés est dressée. Manifestations et rassemblements sur la voie publique, prévention du terrorisme, protection des bâtiments publics, constat des infractions… Bref, « on peut filmer absolument partout », résume Anne-Sophie Simpere. Certes, il est prévu d’informer les personnes qu’elles sont filmées, « sauf lorsque les circonstances l’interdisent ou que cette information entrerait en contradiction avec les objectifs poursuivis », précise l’article.
Là encore, la reconnaissance faciale pourrait être utilisée sur ces images. « C’est un passage à la surveillance de masse et donc une atteinte disproportionné au droit à la vie privée », poursuit Mme Sampere. « Ce que l’on essaye de faire avec cette loi, c’est d’appliquer la reconnaissance faciale de manière généralisée », estime Arié Alimi dans son entretien avec Regards. « On veut surveiller de manière généralisée la population, sans que la population puisse regarder les abus de la police. »
Un an d’emprisonnement en cas de diffusion de l’image du visage d’un policier ou d’un gendarme
Enfin, un chapitre est consacré à un renforcement des pouvoirs et protections des « forces de sécurité intérieure ». L’article 23 limite les remises de peine pour les infractions commises à l’encontre d’un élu, d’un militaire, d’un gendarme, d’un policier ou d’un sapeur-pompier. L’article 24 attente à la liberté d’informer : il prévoit de punir « d’un an d’emprisonnement et de 45.000 euros d’amende le fait de diffuser (…) l’image du visage ou tout autre élément d’identification » d’un policier ou d’un gendarme « lorsqu’il agit dans le cadre d’une opération de police. »
Une précision est apportée : les images doivent être diffusées dans le but de porter atteinte à l’« intégrité physique ou psychique » de l’agent. « Mais concrètement, selon Arié Alimi, à partir du moment où une personne diffuse ces images, le procureur a tout loisir de renvoyer devant un tribunal correctionnel en disant ‘je ne sais pas quelle est l’intention, ce sera au juge de le déterminer’. Les procédures baillons risquent de se multiplier. »
- Manifestation du 1er mai 2019, à Paris.
Anne-Sophie Simpere juge cette loi « liberticide » : « On restreint la possibilité de filmer la police et on renforce celle de filmer les citoyens. La proposition de loi est liberticide car elle porte atteinte à la liberté d’informer et à la vie privée. On nous parle de protéger la police, mais ce déséquilibre se voit et va contribuer à la dégradation des rapports police – population. »
Les discussions ne font que commencer, mais il semble que le gouvernement ait prévu d’encore durcir le texte dans un sens encore plus contraire aux libertés publiques et à la désobéissance civile. Il a déposé 32 amendements. L’un prévoit notamment d'alourdir les sanctions en cas d’intrusion sur la piste d’un aéroport. D’une sanction administrative de 750 euros, on passerait à six mois d’emprisonnement et 7.500 euros d’amende. Le double si c’est en réunion. La disposition semble étrangement viser les actions militantes contre le trafic aérien qui se sont multipliées ces derniers mois.
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