Guillaume Erner, qui
est le monsieur loyal des matinales de France Culture et,
accessoirement, le gardien de la doxa libérale imposée à ce médium de grande écoute, livrait, le 20 janvier dernier, un de ses habituels
éditos aux chevilles logiques aussi épaisses que sa pensée. Le
journaliste
tentait, assez maladroitement, de dissuader les
auditeurs de s’intéresser de plus près à l’ouvrage de
l’historien Johann Chapoutot : Libres
d’obéir Le management du nazisme à aujourd’hui.
Il faut dire que cet ouvrage montre, à travers le parcours du général SS Reinhard Höhn (1904-2000), la
modernité du nazisme en matière d’organisation du travail avec le
culte de la performance, l’obsession de la flexibilité, le mépris
des fonctionnaires et de l’État. Archives en main, Chapoutot décrit comment ce technocrate, partisan de la
disparition de l'État au profit de la « communauté » définie par
la race et son « espace vital », oeuvra durant toute sa
carrière sous le IIIe Reich, sur l'adaptation des institutions de
l'État au Grand Reich à venir.
Après guerre, nullement inquiété par la justice, Reinhard Höhn fonda, à Bad
Harzburg, un institut de formation au
management des élites économiques de la République fédérale. Quelques 600
000 cadres issus des principales sociétés allemandes y apprendront le management ou, plus exactement,
l'organisation hiérarchique du travail par définition d'objectifs,
le producteur, pour y parvenir, demeurant libre de choisir les moyens
à appliquer. Ce qui fut très exactement la politique du Reich pour
se réarmer, affamer les populations slaves des territoires de l'Est,
exterminer les Juifs.
Comme l’explique l’historien
dans un entretien à Marianne : « Le nazisme n’est pas
un phénomène hors sol ou une aberration inexplicable. Il est de
notre temps et de notre lieu (l’Occident des années 1850-1940), et
il en exprime des caractères, il en réalise des potentialités, et
il révèle des traits. Le plus saillant, à mes yeux, c’est le
désastreux darwinisme social qui arme l’occident capitaliste et
colonialiste depuis les années 1860 en lui livrant la théorie de sa
pratique et en naturalisant sa domination. Ce social-darwinisme lui
prééxiste et lui survit, plutôt bien quand on constate à quel
point il est triomphant aujourd’hui, dans une société dont on
veut faire une simple juxtaposition d’individus évoluant dans un
contexte concurrentiel et marchand, où il faut "se vendre",
"se battre", "scorer", "réseauter",
etc… » .
On précisera un peu plus le propos (en pensant fortement au management employé par France Telecom dernièrement) en écoutant Johann Chapoutot répondre aux questions de
Raphaël Bourgois à la Grande table de France Culture.
1 commentaire:
"Le nazisme n'est pas un phénomène hors sol..."
Pour compléter, on peut associer à la lecture du livre de Chapoutot celui d'Enzo Traverso: "La violence nazie, une généalogie européenne."
Robert Spire
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