mardi 25 novembre 2025

Argent de la guerre & Guerre de l'argent


« Je ne sais pas pourquoi cela se produit, mais depuis une trentaine d’années que je siège au Sénat, je me suis rendu compte qu’en achetant des armes pour tuer, détruire, rayer des villes de la surface de la terre et éliminer de grands systèmes de transport, il y a quelque chose qui fait que les hommes ne calculent pas les dépenses aussi soigneusement qu’ils le font lorsqu’il s’agit de penser à un logement décent et à des soins de santé pour les êtres humains ».

Richard B. Russell, sénateur conservateur du Sud des USA, 1960

Dans ce texte, glané chez Lundi matin, Maurizio Lazzarato, sociologue et italien de son état, explique que le réarmement massif de l'Union Européenne, l'amplification de celui des USA, constitue une stratégie pour prolonger un capitalisme financier en crise. Les bulles spéculatives successives (internet, subprime, etc.) l'ayant fragilisé, les oligarchies occidentales misent désormais sur une "bulle de l'armement" reposant sur d'énormes investissements militaires. 

Pour Lazzarato, cette orientation entraîne plusieurs conséquences : l’accaparement de l’épargne au profit des industries de défense ; l’approfondissement des inégalités ; le démantèlement achevé de l’État social ; le renforcement des hiérarchies impérialistes européennes — notamment au bénéfice de l’Allemagne ; la disciplinarisation des populations ; et la montée des tensions internationales, la production d’armes appelant leur usage.

S’appuyant sur l'oeuvre d'une Rosa Luxemburg, Michael Kalecki, ou de Paul Baran et Paul Sweezy, notre sociologue transalpin rappelle que la guerre est historiquement centrale dans l’accumulation capitaliste et que les élites privilégient les dépenses militaires au détriment des dépenses sociales, jugées émancipatrices. Il faudra le répéter : l’accumulation repose sur la violence, la prédation et la domination étatique.

Bref, pour Maurizio Lazzarato, les coups de clairons actuels ne répondent ni à des impératifs de sécurité (les chars russes sur nos Champs Elysées) ni à la défense de valeurs mortes depuis longtemps sous des tonnes de cadavres : ils servent avant tout à maintenir un capitalisme épuisé, dépendant de la guerre, de la discipline sociale et de l’affaiblissement du welfare pour se perpétuer.

On pourra amender ces considération avec l'excellente analyse faite par Nicolas Framont dans Frustrations, du discours de Fabien Mandon, chef d'état-major des armées, délivré le 18 novembre dernier lors du congrès de l'association des maires de France.   

Enfin, pour posséder une vision tant soit peu dialectique de ce problème, on lira sur le site de Temps Critiques, une critique des articles de Maurizio Lazzarato faite par Jacques Wajnstein.    


mardi 18 novembre 2025

L'IA c'est politique

"Pour comprendre en quoi l’IA est fondamentalement politique, nous devons aller au-delà des réseaux de neurones et de la reconnaissance statistique des formes, et nous demander ce qui est optimisé, pour qui, et qui décide. Nous pourrons alors étudier les conséquences de ces choix."

Kate Crawford, Contre atlas de l'intelligence artificielle 

 

vendredi 14 novembre 2025

Oups !



Une étude du Massachussetts Institute of Technologie portant sur 54 étudiants a montré que 83 % d’entre ceux qui avaient rédigé une dissertation en se servant de ChatGPT étaient incapables de se souvenir d’une seule phrase de ce qu’ils avaient écrit.

 

lundi 3 novembre 2025

La façon dont une société traite ses fous


Le 17 octobre dernier, l'agence régionale de santé (ARS), par l'intermédiaire de son antenne du Centre-Val de Loire, signifiait aux cliniques de la Borde et de la Chesnaie le non-renouvellement de leur autorisation d’activité de psychiatrie. 

Rappelons que ces deux cliniques furent le fer de lance de la psychiatrie institutionnelleCelle-ci, pour aller vite, considère que l’institution psychiatrique n’est pas un simple lieu de soins et d’enfermement mais est intégré au traitement pour devenir un lieu de vie structuré pour« soigner » les patients. Un lieu où tout est bon pour responsabiliser ces derniers, en leur faisant prendre une part active à la vie de l’établissement.

Dans son habituel technolecte managérial, l'ARS révèle sa conception du soin psychiatrique en affirmant qu'elle "ne remet pas en cause la qualité de leur travail ni la richesse de leur approche, mais traduit un constat partagé : une grande part des personnes aujourd’hui accueillies dans ces établissements relèvent davantage d’un accompagnement médico-social que d’une hospitalisation psychiatrique au sens défini par la réglementation la plus récente. Leurs besoins portent principalement sur la vie quotidienne, le soutien à l’autonomie et l’inclusion sociale, plutôt que sur des soins intensifs à visée thérapeutique hospitalière.

Traduction : une institution qui ne pratique pas suffisamment de contentions et d'injections médicamenteuses n'a plus droit au titre d'établissement psychiatrique. 

En 2009 déjà, Jean Oury, qui fut psychiatre ainsi que fondateur et directeur de la clinique de la Borde, parlait sans fard de la destruction de la psychiatrie par les gestionnaires : "On va supprimer les psychiatres, on va supprimer les infirmiers, on va supprimer les hôpitaux et tout ira bien. On voit le résultat, c'est une simplicité naïve, redoutable. (...) Ça y est, ils sont au pouvoir, ils ont gagné." 

Si l'on souhaite approfondir ses réflexions sur ce sujet, on pourra lire l'excellent article du psychiatre Matthieu Bellahsen.