dimanche 16 juin 2024

My country, right or left ?



Longtemps, il a été facile de faire la nique au grossier chantage que composaient les pseudo duels Mitterrand/Le Pen, Chirac/Le Pen puis, plus tardivement, Macron/la fille du susdit. À cette trop visible entourloupe s’ajoutait le peu de goût que nous avons pour la démocratie participative et son cortège de carriéristes dopés à l’indépassable horizon du Marché.

Et voilà qu’une dissolution offre possiblement les clefs du palais Bourbon à des fascistes. On ne glosera pas ici sur le niveau de cynisme, d’inconscience et de suffisance de l’homme qui a pris cette décision. Rien de surprenant chez ce coursier du Capital depuis que nous avons le malheur de le connaître.

Penchons-nous plutôt sur cette nouvelle séquence, sur ce choix à faire entre une peste brune et un choléra aux couleurs aussi mélangées que mélanchoniques.

D’un côté, Méluche et ses ambiguïtés antisionistes, Méluche et sa trouble indulgence pour le pays poutinien, son relativisme anti universaliste, Méluche et l’agressive vulgarité de ses féaux, leur arrivisme criard. Quant aux autres : poussières de sociaux traîtres, ex-staliniens, écologistes d’opérette, et quelques sincères pékins isolés dans cet hâtif bouillon…

Leur programme ? Un gros plein des habituelles bonnes intentions : abolition de la réforme des retraites, de l’assurance chômage et de la loi immigration, etc. Quelques mesures, certes pas inutiles pour celles et ceux, de plus en plus nombreux, qui en pâtissent, mais qui n’aboliront pas le monde qui les a produit pour autant, au contraire. Business as usual.

De l’autre côté, le risque de voir une poignée de bandits accéder aux manettes (peut-être moins libres qu’ils ne le croient quand on observe la Méloni) pour instaurer, sous les yeux doux du Capital qui se sera toujours historiquement accommodé de ce voisinage, un régime, ou tout le moins des mesures, une atmosphère encore plus délétère qu'aujourd'hui pour les amants de la liberté et de l’autonomie.

N’en doutons pas, même si ce bloc national n’hérite que d’une majorité relative, ce score décomplexera moult citoyens dans leur commune détestation de ce qui n’est pas eux. On repense, ici, au récit que nous a fait un ami américain sur les lendemains de l’élection trumpienne aux States et de l’attitude des MAGA (citoyens de base comme policiers) les lendemains de celle-ci.

Bref, si la clique macronienne n’aura eu de cesse de poursuivre le travail de démantèlement social entamé par les précédentes cliques mitterandiennes, chiraquiennes, sarkozardes et hollandistes, nulle doute que le brun cliquet finira méchamment le boulot.

Toutes ces interrogations, sur le vieux fond craquelé d’un démocratisme parlementaire en phase de décomposition avancée. Tout cela en pensant que si la classe politicienne dans son ensemble est justement discréditée parce qu’aussi incapable que vendue au Capital, le système dont elle fait partie constitue néanmoins la part du lion de notre réel, une part qui a une influence non négligeable sur notre quotidien, que l’on le veuille ou pas. Surtout quand on est pauvre, noir, juif et borgne, comme le disait ce bon vieux Sammy.

Alors ?

Alors, incarnons.

Incarnons un épicier, obligé par les circonstances de peser, de mesurer et de supputer. Et voyons où ça nous mène.

Y-a t-il, cette fois-ci, réellement danger, comme nous le claironnent les médiatiques ? Faut-il alors confier notre bulletin à l’autoproclamé Front Populaire, dans l'espoir d'éviter le bloc nationaliste ? Doit-on céder à la vieille entourloupe ? Sauver nos meubles déjà brûlés ? Penser aux copains, aux copines, réfugiées sur cette terre gaste ? Ou doit-on parier sur la possibilité d’un score mineur du bloc nationaliste ? Invoquer un hypothétique « barrage républicain » ? Rire de l’habituel jeu de tric-trac de nos politiques, toute espèce confondue ? Se dire que quelle que soit la clique qui accédera aux affaires, les nôtres n’empireront pas plus rapidement qu’auparavant ? Que les pauvres ne seront pas plus pauvres, que les salariés ne seront pas plus aliénés, que la nature n’en sera pas plus dévastée, que les noyés de Méditerranée n’en boiront pas plus d’eau ? Qu’on peut donc bouder l’urne comme avant et conserver tout son chic radical ?

Peut-être.

Honnêtement, pourquoi pas.

Et pourtant, à considérer l’époque, on doute aussi. On observe le ciel et on croit discerner un sinistre alignement des astres : un capitalisme en crise ; des crises, économiques et écologiques, semblablement éternelles ; la garantie d’une extinction de l’humanité à plus ou moins brève échéance ; le cynisme et l’arrogance en roue libre des possédants ; la pénétration et l’utilisation sans vergogne des idées fascistes dans le clan droitier ; et puis des générations élevées aux lois du Spectacle dont l’égarement, le désespoir, la colère, la paupérisation, mais aussi l’inculture politique et historique savamment entretenue, pourraient pousser à toutes les « aventures ».

On repense alors à Antonio Gramsci : « Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres ».

On repense à Yohann Chapoutot affirmant qu’il y a quelques années, quand on l’interrogeait sur l’existence possible de similarités entre les années 30 et notre époque, il n’en voyait pas mais qu’aujourd’hui il serait moins formel.

Et on doute.

Et voilà que nauséeux et contraint, peu sûr de son fait, on se dit qu'on ira peut-être aux urnes et, conscient de friser de près le point Godwin et d’être un tantinet en-dehors du sujet, on évoque cet article de George Orwell écrit lors de l’entrée en guerre de l’Angleterre contre les nazis : My country, right or left.

Pauvres et précieuses reliques à interroger derechef.

On les relira avant de voter, ou de ne pas voter, car on n'est pas certain d’avoir tout saisi. 

En véritable âne de Buridan égaré sur le terrain de cricket du Capital.


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