Nous venons d’entendre le préfet de
Seine-Maritime déclarer que l’état de l’air à Rouen était
«habituel». C’est à se demander d’où il parle pour
ne pas sentir, selon la direction et la force du vent, selon les
quartiers, cet air irrespirable qui nous asphyxie, s’infiltre dans
nos poumons, nos maisons, nos bureaux, nos lieux de travail, irrite
nos gorges, nos yeux, nous provoque des migraines, nous fait parfois
vomir et nous réveille la nuit. Cette affirmation est insoutenable
car elle fait passer pour des hystériques ou des mystificateurs
ceux, nombreux, qui continuent de subir cette odeur suffocante dans
une atmosphère toujours saturée à l’heure où nous écrivons…
Des centaines de milliers de personnes à
Rouen et ses environs, légitimement inquiètes, se sentent méprisées
par la suite de communiqués qui prétendent que tout est sous
contrôle. «Dormez tranquilles braves gens, les relevés n’indiquent
rien d’anormal.» L’empressement avec lequel on cherche à nous
rassurer en oubliant les simples mots de compassion, de sollicitude
après ce traumatisme ! Et aujourd’hui on nous assure que tout
est normal. Comme dans la chanson de Fontaine et Areski. Si c’est
vraiment le cas, changez vos méthodes et vos outils de mesure, car
il y a un vrai problème.
Nos enfants respirent un air malsain,
insalubre depuis des jours. Certains de nos jardins sont noircis
d’hydrocarbures rendant les cultures de nos potagers impropres à
la consommation. Pour combien de temps ? Nous y trouvons des
morceaux d’amiante, des débris non identifiés, de fines
poussières jaune-vert. Nos maisons sont tachées de suie noirâtre.
Nous toussons, nous respirons mal. Les plus fragiles sont
hospitalisés. Quand nous le pouvons, nous fuyons pour chercher l’air
sain auquel tout citoyen devrait avoir droit.
Notre ville, dont l’embellissement
récent nous rendait heureux, et où nous aimons vivre, est souillée,
abîmée, noircie, «clairement polluée». Agnès Buzyn,
ministre de la solidarité et de la santé, venue faire ce constat de
l’évidence, nous dit : «Il faut se laver les mains, et
il faut nettoyer.» Est-ce cela le plan du gouvernement après
une catastrophe industrielle Seveso ? Se laver les mains et
nettoyer ? C’est à nous Rouennais et habitants de
l’agglomération de décontaminer notre ville ? Nos jardins ?
Nos champs ?
Vous n’avez rien d’autre à nous
dire ?
Expliquez-nous pourquoi nous ne savons
toujours pas de quoi est composé l’air que nous avons respiré
depuis jeudi matin ?
Expliquez-nous pourquoi, puisqu’il
existe sur le secteur de Lubrizol un Plan de prévention des risques
technologiques piloté par la Dreal Normandie et que ce type de plan
s’applique aux zones présentant des risques majeurs, comme c’est
évidemment le cas d’une usine classée Seveso, rien n’ait,
semble-t-il, été mis en œuvre en conséquence vis-à-vis des
populations dès le déclenchement de l’incendie ?
Expliquez-nous pourquoi, si tout est si
normal, des policiers travaillent avec des masques à gaz ?
Expliquez-nous comment il est possible
qu’un site Seveso puisse être recouvert d’amiante ?
Dites-nous quelles dispositions le
gouvernement va prendre pour organiser le suivi épidémiologique de
toute la population des villes touchées par ce nuage toxique de
22 kilomètres de long et 6 km de large ? S’il a
l’intention de le faire ?
Expliquez-nous comment une usine classée
Seveso seuil haut peut exister à 500 mètres d’un
centre-ville avec un bassin de population aussi important, en face
d’un futur écoquartier ?
Expliquez-nous pourquoi un arrêté
préfectoral suspend pour 112 communes collecte du lait, d’œufs,
de miel, livraison d’animaux, interdit les récoltes, mais nous,
habitants, aurions respiré un air qui ne serait pas particulièrement
dangereux ?
Que dites-vous aux agriculteurs, aux
éleveurs, aux maraîchers, aux apiculteurs ? Dont pour certains
l’activité économique est déjà en péril ? Que dites-vous
aux malades ? Aux femmes enceintes ?
Que dites-vous aux salariés de l’usine,
vivant souvent près du site, désormais au chômage technique,
également secoués par cette catastrophe ? Aucun mot n’a été
prononcé publiquement à leur égard.
Que dites-vous aux professionnels du
tourisme qui reçoivent des annulations en série ?
Que répondez-vous aux médecins qui
s’alarment de découvrir les taux affolants de plomb et autres
métaux lourds auxquels nous avons pu être exposés ?
Les conséquences immédiates et à
venir de ce désastre sont si nombreuses que nous ne pouvons pas
toutes les énumérer. Mais nous enrageons de recevoir si peu
d’égards, de soutien, et surtout d’informations claires. Sur ce
qui s’est passé et ce qui va se passer à l’avenir.
Par ailleurs, nous avons entendu le
président de Lubrizol, Frédéric Henry, dire que le secteur de
l’usine où l’incendie s’est déclenché était un lieu de
stockage, sans activité industrielle, et donc qu’il ne faisait pas
partie des secteurs du site où l’entreprise avait anticipé
d’éventuels accidents dans ses scénarios et exercices de crise.
Si nous avons bien compris son propos, il nous semble grave.
Nous, Rouennais, ou liés à
cette ville, habitants des villes environnantes, signataires de ce
texte demandons :
- La reconnaissance de l’état de
catastrophe technologique.
- Une refonte totale de la législation
concernant tous les sites Seveso sur le territoire français en
tenant compte de l’avis des premiers concernés : les
habitants. Car soyez bien certains que cette catastrophe se
reproduira. A Rouen, où nous vivons sur un baril de poudre, ou
ailleurs.
- Une réponse gouvernementale à la
hauteur de ce qui a eu lieu : une catastrophe majeure.
- Et enfin, que les dirigeants de
l’usine Lubrizol dont les prises de paroles depuis jeudi sont
affligeantes de lâcheté et de cynisme soient mis le plus vite
possible devant leurs responsabilités qui sont immenses.
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