dimanche 31 janvier 2016
jeudi 28 janvier 2016
mercredi 27 janvier 2016
Mourir et puis sauter sur son cheval
J'ai connu David Bosc
dans une première vie. Son intelligence et sa modestie tranchaient
avec le milieu pseudo-radical que nous fréquentions. Il n'avait pas
encore publié Sang lié pas plus que La Claire fontaine,
le récit des dernières années d'exil helvétique de Gustave
Courbet. A cette époque, il traduisait les six cents pages de la
correspondance de Swift avec le Scriblerus Club. Je connaissais déjà
son pamphlet contre Aragon et son petit livre sur Georges Darien. Il
avait eu la gentillesse de lire un de mes bourbiers et l'avait annoté
avec un tact dont je lui suis encore reconnaissant.
Je garde de lui, entre
autre chose, le souvenir d'une discussion que nous avions eu, à
propos d'Arcane 17, dans un caboulot marseillais. Nous en
avions causé avec une identique reconnaissance. Il est peu de dire
que ce livre avait eu de l'influence sur lui... Et puis, nous nous
sommes perdus de vue. De temps à autres, je relisais ses livres
jusqu'à ce qu'Allia publie son Sang lié, récit d'enfance
incandescent et fouisseur. J'avais des nouvelles fraîches de Bosc,
de bonnes nouvelles. Je me disais : "Avec lui, la véritable
littérature existe encore".
Depuis, j'ai lu Bosc
comme on va à la montagne : pour s'élever, respirer un air
meilleur, pour reprendre pied dans la beauté. Dans un monde où le
réel le plus imposé envahit tout, où beaucoup de textes pataugent
dans l'eau de boudin quand ils ne moulinent pas de consternants
chapelets égotistes, David Bosc, lui, fait honneur à la poésie
véritable.
Je me souviens du bien
que m'a fait la lecture de La Claire fontaine. Là où un
gratteur lambda aurait tartiné glaucque sur les derniers jours du
peintre hydropique, Bosc éclaire, à la façon d'un reflet de
torrent, la liberté qui charpentait Courbet. Dans ses lignes, malgré
tout, malgré la mort, la vie triomphe.
J'ai acheté, ce matin,
le livre qu'il vient de publier aux éditions Verdier : Mourir et
puis sauter sur son cheval. Bosc parle de Sonia Araquistain, une artiste
espagnole de 23 ans, qui, un jour de septembre 1945, s'est jetée nue
depuis le troisième étage de son immeuble de Queensway.
La quatrième de couverture annonce que : "Quand on a vécu son enfance dans une absolue liberté et que l’entrée dans l’âge adulte ne s’est assortie d’aucun harnais, d’aucune obligation ni désir de servir, de consacrer les bonnes heures du jour au travail, aux soins des enfants ou des animaux, alors la faim de liberté se déplace, elle mute, elle trouve aussitôt d’autres murs à quoi se heurter, d’autres insuffisances : la société, bien sûr, la liberté qu’on n’a pas d’y faire ceci, d’y être cela, mais aussi la limitation du corps et la limitation de l’esprit. Poursuivant un désir à quoi rien ne saurait répondre, Sonia amorce un envol qui n’aura pas de fin."
La quatrième de couverture annonce que : "Quand on a vécu son enfance dans une absolue liberté et que l’entrée dans l’âge adulte ne s’est assortie d’aucun harnais, d’aucune obligation ni désir de servir, de consacrer les bonnes heures du jour au travail, aux soins des enfants ou des animaux, alors la faim de liberté se déplace, elle mute, elle trouve aussitôt d’autres murs à quoi se heurter, d’autres insuffisances : la société, bien sûr, la liberté qu’on n’a pas d’y faire ceci, d’y être cela, mais aussi la limitation du corps et la limitation de l’esprit. Poursuivant un désir à quoi rien ne saurait répondre, Sonia amorce un envol qui n’aura pas de fin."
Je l'ouvrirai ce soir, en
confiance, heureux d'avoir des nouvelles d'un ami.
mardi 26 janvier 2016
L'éclat
J'écoutais à toutes ses portes, heureux de celles qui s'ouvraient, heureux de celles qui restaient closes. Aurore ou nuit venue, elle me devint, corps et âme, une forêt. Sans fin, je m'y aventure à pas légers, refermant derrière moi les buissons que j'entrouvre.
David Bosc, Sang
lié
Je vivais un temps de loup.
L'année m'avait laissé épuisé, sans réserve, l'âme sèche. Une
accumulation de défaites, de douleurs idiotes. Un gâchis qui me
hantait. Je maintenais le corps. Je survivais. Un fil amer parcourant
les jours. A l'été, je rejoignis ma famille dans le Quercy. Nous y
possédons une maison depuis trois générations dans laquelle mes
soeurs et moi avons passé toutes nos vacances.
Je réussis à éloigner
certaines tristesses. Le tourbillon des voix, les rires, les
préoccupations autres que les miennes, une nourriture roborative me
requinquèrent. Le vin de Cahors soignait le plus vif de mes
blessures. Je me confiais à l'éclat de son berceau. La nuit, je
dormais à nouveau. Je fis des marches précipitées sur le Causse.
Il me fallait expulser certaines noirceurs. Je revenais à la maison,
la poitrine à moitié libérée.
Un matin, je partis seul en
direction du Nord-Ouest, cheminant un moment sur le haut d'une
colline avant de descendre dans un vallon encaissé, ancien lieu de
culte cadurque que l'église avait récupéré en y bâtissant une
chapelle. Là, au milieu des arbres, coule un torrent né sur les
premières marches de l'Auvergne. J'ai mes habitudes au pied d'une
cascade.
Ce jour là, le temps orageux
avait libéré le sentier qui menait à l'oratoire. Je marchais au
milieu des châtaigniers sans croiser un seul promeneur. Je
retrouvais la cascade comme un soc bénéfique.
Je m'assis sur une des grosses
pierres grises aux aplats de mousse qui l'entourent. Au dessus de ma
tête, dominant la cascade, un chêne était là depuis ma première
baignade. Je me déchaussais, relevais mes bas de pantalons et
descendais dans le torrent pour y mouiller mon visage. Je bus un peu
d'eau pour retrouver le goût de mica et de fer qu'elle laisse sur la
langue. Je regardais l'enchevêtrement de troncs, de fougères et de
feuilles qui m'entourait, les roches humides perçant la terre du
bois sur les pentes du vallon. Je revins sur la rive et savourais le
contact de mes pieds sur la roche parsemée de feuilles.
L'été précédent j'avais
passé une après-midi ici avec V. Ce temps ne reviendrait plus. Je
regardais l'eau. L'amertume filait dans les rebonds et, peu à peu,
le lieu m'accueillait. Un dictame d'eau, de roche et d'écorce. Le
présent me redevenait possible.
Je me réjouis du gris sombre
de l'orage s'accumulant au-dessus de ma tête. Je me sentais dans un
panier onirique. Le pays, immobile, écoutait. Les parfums de
pierre mouillée et de l'humus se mirent à changer
imperceptiblement. L'orage était imminent. Je posais mes paumes sur
le rocher. Il y eut plusieurs coups de tonnerre au-dessus des arbres.
Dans le feuillage, une branche se mit à trembler doucement.
La pluie vint, d'abord sous
forme de gouttes clairsemées, puis plus drue, constellant la surface
du torrent de minuscules éclats d'argent. L'une tomba sur mon avant
bras, une autre sur le rocher, une autre encore fit sursauter la
branche d'un châtaigner devant moi. Je me levais et mis le chapeau
de toile que je conservais toujours dans ma poche avant de m'appuyer
contre le tronc du chêne. C'était une de pluie d'été brève et
forte. J'étais à l'abri.
Le soleil vint jouer avec les
feuilles constellées d'eau puis disparût. Je sentais l'écorce
contre mon épaule. Relevant le visage, je laissais des gouttes
ruisseler sur mon visage et mes mains. Je me demandais alors : "
Pleures-tu ? Me bénis-tu ? Suis-je lavé à
nouveau de mes cendres ?" La pluie cessa et un ciel rapide se
mit à courir au-dessus des arbres. J'enlevais mon chapeau et
descendais à nouveau sur le rocher. J'eu ma réponse.
A mes pieds, sur un carré de
mousse fluorescent, je découvris une minuscule feuille de châtaigner
d'un brun très pâle ; y était enchâssé un éclat de mica de la
taille d'un ongle d'enfant. Le hasard, une fée, avaient constitué
ce bijou. La beauté m'absorbait sur son coussin de mousse. Après un
temps que je ne saurais dire, je pris l'écrin pour le poser au
centre de ma paume. Dans le creux de solitude du bois, je souris, les
yeux emplis de larmes. J'étais baigné de merveille. Sauvé.
lundi 25 janvier 2016
La déconcertante évidence
Voici ce que j'ai constaté d'autre :
les uns aux autres nous ne trouvons plus rien à nous dire. Pour s'agréger
chacun doit exagérer sa médiocrité : on fouille ses poches et l'on en tire à
contrecoeur la petite monnaie du bavardage : ce qu'on a lu dans le journal, des
images que la télévision a montrées, un film que l'on a vu, des marchandises
récentes dont on a entendu parler, toutes sortes de ragots de petite société,
de révélations divulguées pour que nous ayons sujet à conversation ; et encore
ces insignifiances sont à la condition d'un fond musical excitant, comme si le
moindre silence devait découvrir le vide qu'il y a entre nous, la déconcertante
évidence que nous n'avons rien à nous dire ; et c'est exact. Non seulement pour
la raison que donne Carême, que s'il n'y a plus de cuisine, « il n'y a plus de
lettres, d'intelligence élevée et rapide, d'inspiration, de relations liantes,
il n'y a plus d'unité sociale» ; il resterait tout de même le vin ; mais plus
simplement par celle-ci que la conversation, outre de vouloir cet esprit
particulier qui consiste en des raisonnements et des déraisonnements courts,
suppose des expériences vécues dignes
d'être racontées, de la liberté d'esprit, de l'indépendance et des relations
effectives. Or on sait que même les semaines de stabulation libre n'offrent
jamais rien de digne d'être raconté que nous avons d'ailleurs grand soin de
prévenir ces hasards ; que s'il nous arrivait réellement quelque chose, ce
serait offensant pour les autres.
Baudoin de Bodinat, La Vie sur Terre, Réflexions sur le peu
d'avenir que contient le temps où nous
sommes.
jeudi 21 janvier 2016
Une passion déchirante
Le
repliement excessif de la conscience sur soi est le premier pas vers
la désadaptation du réel. La première condition de l’adaptation
au réel est un relatif oubli de soi.
Il
y a donc dans l’action une sorte de pouvoir réducteur
indispensable à notre propre édification. Elle seule débarrasse
les chemins de la personnalisation du trop-plein de nous-mêmes et de
ce que notre présence à nous-même a toujours d’indiscret en même
temps que de nécessaire.
En
forçant hors de soi la paresse égocentrique, le contact du réel
comprime la turbulence du désir informe, le contraint à choisir des
dessins précis et limités, à passer du somptueux néant des
possibles à la réalité dépouillés et forte du réalisé.
La
passion du réel est une passion déchirante : nous ne pouvons
nous fixer ni dans l’adaptation objective qui nous mécanise, bien
qu’elle soit utile à son plan, et nécessaire à notre assiette
spirituelle ; ni dans le refus de réaliser, bien qu’il prenne
quelquefois une valeur de salut métaphysique. Le pathétique du réel
est le pathétique d’une tension irrésolue.
Emmanuel
Mounier, Traité
du caractère
Se souvenir de Raymond Cousse 1942-1991
C'est assez dire que je ne me sens en
rien concerné par le sempiternel débat sur la fonction de la
critique. Si l'on tient absolument à m'extorquer un avis sur ce
point, je répondrai qu'il est oiseux d'opérer des ségrégations
entre les divers secteurs de l'activité littéraire. De mon humble
point de vue, éditeurs, auteurs – moi compris, si du moins l'on
m'autorise à revendiquer cette autre supercherie – critiques et
lecteurs, bref tout l'appareil à produire, vendre et consommer des
livres est à fourrer sans appel dans le même sac, puis à bastonner
indistinctement, copieusement et sans relâche. On voit donc, et l'on
s'en apercevra encore dans l'avenir, que je suis loin d'être raciste
à cet égard.
Si j'ai arbitrairement commencé par
les critiques, c'est d'une part qu'il faut un début à tout, d'autre
part par goût des lieux communs et large propension à enfoncer les
portes ouvertes. En tout cas, voilà un domaine où je n'éprouve
aucun scrupule à tomber à bras raccourci sur les infirmes, dès
lors que je les sens à ma main. J'exprimerai toutefois un regret :
celui de n'avoir pas frappé certains de ces hémiplégiques
au-dessous de la ceinture, comme c'eût été mon droit, et
probablement mon devoir. Un reste d'éducation, je suppose. Mais ce
n'est que partie remise.
Raymond Cousse, A bas la critique !
mercredi 20 janvier 2016
Le centre de l'été
Le plus grand
espoir, je dis celui en quoi se résument tous les autres, est que
cela soit pour tous et que pour tous cela dure ; que le don
absolu d’un être à un autre, qui ne peut exister sans sa
réciprocité, soit aux yeux de tous les seule passerelle naturelle
et surnaturelle jetée sur la vie.
André Breton, L’amour fou
- Nous y voilà enfin...
Nous sommes allongés dans un creux d'herbes à quelques
mètres du croisement des routes du Tholonet et de Beaurecueil. La
chaleur vibre à effacer le ciel. Elle ne laisse à cette matinée
d'été qu'un peu de vent pour animer les champs de blé qui nous
entourent. Je lève la tête : les rares maisons du paysage semblent
clouées par la fournaise dans la terre rouge du vallon. Esther se
dresse pour contempler les alentours. D'un lent index circulaire,
elle désigne les couleurs écrasées par le soleil.
- Regarde, on est au centre de l'été... En plein dans
l'œil de Cézanne... Tu comprends ?
Bien sûr. Nous nous trouvons à l'intérieur d'un
triangle dessiné par trois tableaux de Cézanne. La
Ste Victoire vue de Gardanne pour le premier
sommet, La Ste Victoire vue de la Barque
pour le second et La Ste Victoire vue du
Tholonet pour le dernier.
- J'ai toujours été persuadée que ces œuvres étaient
une balise... Tu vois, ce qui est important c'est de dépasser
l'admiration pour entrer dans le mouvement.
De minuscules perles de sueur scintillent sur sa lèvre
supérieure. Nous éprouvons la même chose : soudés par la lumière,
nous partageons la même grammaire du sel et de la peau.
- Ce qui est important, c'est que nous n'ayons plus
besoin des tableaux.
Elle désigne les contreforts recouverts de pins du
Cengle.
- Je peux me lever et marcher jusqu'à cette falaise qui
nous sépare de la Sainte-Victoire. Je peux la franchir, toucher ses
roches, m'accrocher aux branches résineuses de ses arbres et
continuer jusqu'aux premières pentes de la montagne.
Elle pose une main sur ma poitrine et entreprend de
déboutonner ma chemise.
- En marchant ainsi, j'aurais mesuré le motif à
l'aune de mon propre corps. Il n'y aura plus d'intermédiaire.
Sa bouche glisse jusqu'à mon nombril.
- Tu sens la résine...
D'un geste, elle fait glisser son tee-shirt par-dessus
la tête.
- Travaillons sur le motif...
Le motif, nous y sommes. En plein dans le passage du
temps, je suis aspiré par la langue d'Esther. Ma main glisse,
vertèbre après vertèbre, sur sa peau. Je repousse son short et
découvre ses fesses. Sa culotte, coincée sous la pulpe de mon
pouce, roule au sol comme une balle de coton oiselé. Peu à peu,
nous dessinons un cercle dans les herbes qui nous cachent des
promeneurs assez fous pour marcher à cette heure de la journée.
J'écarte ses lèvres pour que nos âmes envahissent cet œil
d'herbes, ce carrefour, ce vallon, la montagne éblouissante, le Sud
écrasé d'été, jusqu'à ce que nos deux crânes, enfin, se fendent
sous l'épée de notre accord.
J'arrange ma chemise pour que, soutenue par les herbes
les plus vigoureuses, elle forme un abri au-dessus de nos têtes.
Bédouins étourdis par la chaleur, nous sombrons dans une légère
torpeur. Heures lentes de la sieste…
Je sens Esther bouger imperceptiblement. Elle colle sa
bouche à mon oreille.
- Tu rêves ?
- Penses-tu !
Il est sept heures du soir. L'air est comme une pêche
révélant les parfums. Nous marchons, un peu mélancoliques, sur
l'asphalte tiède de la départementale. J'embrasse la main d'Esther.
Je ne veux pas me défaire de cet accomplissement. L'air est de plus
en plus doux, presque attentif après la bastonnade de l'après-midi.
Une nuit d'été se prépare.
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