mardi 19 janvier 2016
lundi 18 janvier 2016
Janvier et ses ombres
Il faudra chercher un cataclysme déjà lointain pour
trouver à quoi comparer les temps modernes.
L’Âge d’or, texte
d’introduction au film de Luis Bunuel
Janvier donc, mais cela aurait pu tout aussi bien être
un autre mois, une autre année. Cela survenait le soir, à l’heure
où les ombres et les rumeurs du dehors sont un décor que l’on
regrette de trouver hostile.
Il était allongé sur le tapis, à côté du lecteur de
disques, un cigare endormi dans la main, le regard adouci par un opus
de Grieg. Elle avait envahi le canapé de feuilles manuscrites
supportant les notes d’un livre qu’elle projetait d’écrire au
début de juillet. Deux lampes, posées près de la bibliothèque,
dispensaient une lumière chaude dans le salon.
Cela faisait longtemps, bien avant leur installation
dans cet appartement et on peut affirmer – elle le confirmerait –
que c’était avant même qu’ils emménagent dans l’étroit
studio de la rue M. Des ombres multiples, c’était ça. Un sentiment né
de la lucidité. La conscience amère de la folie du monde, du poison
confortable, de l’eau empoisonnée, de l’air vicié.
L’observation consternée des rapports hystériques entre adultes
infantiles. Ces guerres ricanant à la barbe de justices impossibles.
L'étouffement de la vie sous les mensonges et les coups,
l'éradication du stock humain jusqu’à la dernière goutte de
profit.
Ils le savaient, le sentaient jusqu’à marquer leur
regard d’éclairs gardiens. Le mal régnait par la flemme, la peur
et l’avidité.
Alors écoute, écoute cette musique qui n’est plus
une consolation mais le fantôme de ce qui ne peut plus être
imaginé. Ecris, écris un livre qui ne sera jamais imprimé ou si
peu, et si peu connu, et si mal lu par ceux qui ont perdu l’envie
de la révolte et du cheminement. Reposez-vous, amants, aux heures
laissées en jachère par la machine. Reposez-vous au milieu de ce
bien-être. Combien de fois, chaque soir, vos regards – au moins
cela ! – se croisent, se mêlent afin de ne pas succomber aux
mensonges de cette paix trafiquée. Tout et tous en guerre contre
tous. Vous le savez et refusez de vous mentir. Il n’y a que vous,
si faibles mais ensemble, pour ne pas succomber aux mensonges et aux
peurs de la bouche invisible. Combien de poisons décelés ? Combien
de poisses insinuantes faut-il patiemment désengluer de l’esprit –
si mal parfois, si hâtivement – afin de continuer à penser, à
souffrir donc, le front contre le granit d’un réel à la syntaxe
vacillante ? Et cette fatigue, cette peur qui n’en finissent
pas de tout laminer.
Le disque est terminé. Il se lève. Cernée de
ténèbres, la fenêtre lui apparaît comme un gouffre. Elle est à ses côtés, sa tête posée sur son épaule. Il sent son parfum, sa chaleur. "On va sortir, dit-elle. Il n'y a aucune raison qu'on s'enferme...".
Au-dessus du volcan
" Dans quels rangs imaginerait-on la faire rentrer [la jeunesse] ? Celles des luttes dites « anti-industrielles »
dirigées contre les projets trop manifestement absurdes
d’éradication de ce que n’avait pas encore ravagé le rouleau
compresseur de l’artificialisation de la vie et des faux besoins
(des zones naturelles restées en partie pré-industrielles), parce
qu’elles expriment un sentiment partagé de perte irrémédiable
agrègent d’autant plus vite une myriade d’opposants.
Si les naïvetés non violentes et participatives des opposants de départ prêtent à sourire, on conviendra qu’elles sont vite balayées par le mépris des décideurs et la violence des pouvoirs. On laissera aux versaillais qui éructent ces jours-ci leurs appels à la répression la condescendance des assis devant les bigarrures, les cagoules et les hésitations de cette jeunesse. Les faits sont là : certes encore très minoritaire elle a déjà fait sécession avec la société. Qu’elle le subisse ou le choisisse, elle n’y a aucun avenir, elle n’en veut pas et elle n’a rien à perdre ; sauf éventuellement la vie, on vient de le lui rappeler. Ce qui va de soi pour elle, le refus de l’Etat, du primat de l’économie sur la vie, de l’artificialité technologique sur l’intensité des rapports humains, la détestation de toute hiérarchie fut-elle militante, le refus du vedettariat, la solidarité concrète entre tous les opposants quelles que soient leurs pratiques, rien de cela ne peut tromper : il s’agit de la naissance d’une conception de la vie radicalement hostile à celle qu’impose la domination.
Si les naïvetés non violentes et participatives des opposants de départ prêtent à sourire, on conviendra qu’elles sont vite balayées par le mépris des décideurs et la violence des pouvoirs. On laissera aux versaillais qui éructent ces jours-ci leurs appels à la répression la condescendance des assis devant les bigarrures, les cagoules et les hésitations de cette jeunesse. Les faits sont là : certes encore très minoritaire elle a déjà fait sécession avec la société. Qu’elle le subisse ou le choisisse, elle n’y a aucun avenir, elle n’en veut pas et elle n’a rien à perdre ; sauf éventuellement la vie, on vient de le lui rappeler. Ce qui va de soi pour elle, le refus de l’Etat, du primat de l’économie sur la vie, de l’artificialité technologique sur l’intensité des rapports humains, la détestation de toute hiérarchie fut-elle militante, le refus du vedettariat, la solidarité concrète entre tous les opposants quelles que soient leurs pratiques, rien de cela ne peut tromper : il s’agit de la naissance d’une conception de la vie radicalement hostile à celle qu’impose la domination.
Quand s’affrontent deux conceptions de la vie si
antagoniques s’affirme aussi l’inéluctabilité du conflit
central des temps à venir : celui qui va opposer les
fanatiques de l’apocalypse programmée à ceux qui ne se
résignent pas à l’idée que l’histoire humaine puisse finir
dans leur fosse à lisier. "
On lira, ou relira, avec profit la totalité de ce texte de René Riesel et de Jacques Philipponneau sur le site Hors Sol.
On pourra aussi lire l'entretien que René Riesel donna au journal Libération en février 2001 et qui, hélas, demeure d'une cuisante actualité.
Aussi, celui donné par le même à No Pasaran en février 2000 sur la lutte anti-OGM.
On pourra aussi lire l'entretien que René Riesel donna au journal Libération en février 2001 et qui, hélas, demeure d'une cuisante actualité.
Aussi, celui donné par le même à No Pasaran en février 2000 sur la lutte anti-OGM.
Voyage autour de mon potager
Il y a quelques mois, quand je rentrais du travail, je posais ma
veste sur la chaise et, après avoir bu un verre d'eau, j'allais
m'asseoir devant mon potager pour fumer la pipe.
La vision de ce carré de terre meuble m'apaisait après ma journée
à l'usine. Je me nourrissais plus proprement. En bêchant, je
continuais à faire de l'exercice.
J'admirais l'alignement de mes tomates - j'avais appris à distinguer
les Saint-Pierre, aux formes simples, des cœur de bœuf, plus
contournées. Les haricots s'étoilaient sur les tuteurs, les salades
semblaient éclore à la façon des roses et la progression en
rhizome des topinambours était signalée par leur tiges émergentes
dont les feuilles m'ont toujours évoqué des orties.
Tirant sur ma pipe, j'aimais repérer les mauvaises herbes qu'il me
faudrait enlever, travail simple et utile après une journée passée
à m'ennuyer.
A genoux dans la glaise, le ciel me paraissait plus grand. La plaine
sur laquelle était bâtie ma maison m'offrait un horizon paisible
d'où ne surgissaient que des nuages. Je connaissais ces fantômes
silencieux. Un soir de désœuvrement, j'avais appris leurs noms dans
une encyclopédie.
Les cumulus, perchés dans le ciel à la façon d'un décor, me
donnaient l'impression d'une journée d'été anglais. Les
cumulonimbus, superbes et altiers, annonçaient des pluies violentes
qu'il ne me déplaisait pas de voir s'abattre sur le jardin. Plus
banals, les stratocumulus n'en étaient pas moins appréciés les
jours de grand soleil : leurs formes étiolées faisaient comme
des parasols au-dessus de la maison.
Souvent, Sylvie venait me rejoindre. A la tombée du jour, nous
installions deux chaises devant les sillons. Une bière étrangère
accompagnait ma pipe et sa cigarette. Nous évoquions les petits
faits de la journée avant de parler de ce que nous ferions le
lendemain.
J'éprouvais un grand plaisir à voir son profil se découper devant
ce carré luxuriant. Il faisait bon, et son parfum se mêlait parfois
aux senteurs des tomates. Notre chat en profitait pour venir se
rouler sous les tuteurs avec un air de contentement qui nous faisait
rire. Au bout d'un moment, lorsqu'il se relevait et nous regardait en
miaulant, il était l'heure de rentrer souper.
work in progress
jeudi 14 janvier 2016
Forcalquier
A défaut de révolution,
nous
avons fait tourner les astres
sous
le marteau solaire
je
revois ces étoiles en manège
effleurant
le miroir
et,
plus avant,
nos
souffles appuyés
sur
la tranquillité des toits
depuis,
ton
écart me hante
ton
écart
cette
belle encoche
dans
les cataractes du temps.
mercredi 13 janvier 2016
La nuit grecque
Marseille
bruissait comme un préau
à
la veille d'une nuit d'été
nous
marchions entre les étoiles
reflétées
par les flaques d'urine
et
les bars dégueulant leurs palanquées
de
buveurs obsédés par la solitude
rue
Sainte
l'hôtel
apparut comme une île électrique
cernée
de poissons fous
la
chambre était propre
et
meublée par les rumeurs
de
la ville
je
me suis assis sur lit
et
t'ai regardé
entrer
pieds nus dans la salle de bain
je
me suis alors demandé
ce
qu'était la sagesse
quand
on est
environné
par la folie
tu
as éteins les lumières
et
nous avons mêlé nos salives
pour participer
à
la grande soupe nocturne.
mardi 12 janvier 2016
Un amas d'épicier
Il prit son carnet et nota ceci : "C'est instructif l'angoisse
quand on réussit à voir dans quoi on plonge. Ce qui surprend
d'abord c'est la pauvreté de ces obsessions où ce qui lamine
ressemble à l'amas d'un épicier. Tout
tourneboule pour ne garder que les résidus de la vérité : cet infini aux dents de goule qu'éperonne le cor malingre de
nos craintes. Ces rythmes mornes
sertissent notre âme dans un tunnel qui nous coupe de la vie pour nous réduire à un sac
flageolant de reniements. Et quelle énergie dépensée pour
maintenir ces élucubrations derrière le piètre barrage de la
normalité !"
Antoine Samano, L'emprunt Gallinet
lundi 11 janvier 2016
Tchouktches
Ces impuissants, ces incapables, miserabilis personae, qui ne peuvent rien pour eux-mêmes, ils peuvent beaucoup pour nous. Ils ont en eux un mystère de puissance reconnue, une fécondité cachée, des sources vives au fond de la nature.
Jules
Michelet, Le
Peuple
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