dimanche 10 avril 2016

mercredi 6 avril 2016

Corvéables à merci


L’essence de la société (…) est d’exempter le riche du travail : c’est de lui donner de nouveaux organes, des membres infatigables, qui prennent sur eux toutes les opérations laborieuses dont il doit s’approprier le fruit. Voilà le plan que l’esclavage lui permettait d’exécuter sans embarras (…)
 
En supprimant la servitude, on n’a pas prétendu supprimer ni l’opulence, ni ses avantages. On n’a pas pensé à remettre entre les hommes l’égalité originelle ; la renonciation que le riche a faite à ses prérogatives, n’a été qu’apparente. Il a donc fallu que les choses restassent, au nom près, dans le même état. Il a toujours fallu que la plus grande partie des hommes continuât de vivre à la solde, et dans la dépendance de la plus petite, qui s’est approprié tous les biens. La servitude s’est donc perpétuée sur la terre, mais sous un nom plus doux. Elle s’est décorée parmi nous du titre de domesticité. C’est un mot qui sonne plus agréablement à l’oreille ; il présente à l’imagination une idée moins affligeante, et il ne signifie cependant à le bien examiner, qu’une insulte plus cruelle faite à l’humanité (…)

Il est libre, dites-vous ! Eh ! Voilà son malheur. Il ne tient à personne : mais aussi personne ne tient à lui. Quand on en a besoin, on le loue au meilleur marché que l’on peut. La faible solde qu’on lui promet, égale à peine le prix de sa substance pour la journée qu’il fournit en échange. On lui donne des surveillants pour l’obliger à remplir promptement sa tâche ; on le presse ; on l’aiguillonne de peur qu’une paresse industrieuse et excusable ne lui fasse cacher la moitié de sa vigueur ; on craint que l’espoir de rester plus longtemps occupé au même ouvrage, n’arrête ses bras, et n’émousse ses outils. L’économie sordide qui le suit des yeux avec inquiétude, l’accable de reproches au moindre relâche qu’il paraît se donner, et s’il prend un instant de repos, elle prétend qu’il la vole. A-t-il fini, on le renvoie comme on l’a pris, avec la plus froide indifférence, et sans s’embarrasser si les vingt ou trente sols qu’il vient de gagner par une journée pénible, suffiront à sa subsistance, en cas qu’il ne trouve pas à travailler le jour d’après (…)

Il est libre ! C’est précisément de quoi je le plains. On l’en ménage beaucoup moins dans les travaux auxquels on l’applique. On en est plus hardi à prodiguer sa vie. L’esclave était précieux à son maître en raison de l’argent qu’il lui avait coûté. Mais le manouvrier ne coûte rien au riche voluptueux qui l’occupe. Du temps de la servitude le sang des hommes avait quelque prix. Ils valaient du moins la somme qu’on les vendait au marché. Depuis qu’on ne les vend plus, ils n’ont réellement aucune valeur intrinsèque. Dans une armée on estime bien moins un pionnier, qu’un cheval de caisson, parce que le cheval est fort cher, et qu’on a le pionnier pour rien. La suppression de l’esclavage a fait passer ce calcul de la guerre dans la vie commune.

 Henri Linguet, Théorie des lois civiles ou principes fondamentaux de la société (1767)


Merci à J.L. et M.B. pour leur envoi.

lundi 4 avril 2016

Carte de loin (4)


M., le 2 avril 2016.

Je suis arrivé à M. par la petite route du bas. Je n'ai croisé personne dans la rue principale. Le printemps n'était pas assez là pour poser sa chaise devant la porte et la plupart de ceux que je connais étaient aux champs. J'ai laissé mon sac au pied d'un des marronniers de la place, juste en face du monument aux morts et, comme je le fais chaque fois que j'arrive dans une localité, je suis allé déchiffrer le nom des tués de 14-18. J'y ai retrouvé deux cousins et j'ai calculé qu'un tiers des hommes de la commune n'était pas revenu de cette boucherie. 

Après avoir lu une dernière fois la liste des noms gravés sous les pieds du poilu, je suis allé m'asseoir près du marronnier. Nous étions en pleine période de commémoration de cette guerre et j'ai pensé à la lettre qu'écrit le Commandant Delaplane à Irène de Courtil à la fin du film de Bertrand Tavernier La Vie et rien d'autre. Je me suis dit qu'elle esquissait le seul hommage que nous pourrions rendre à ces hommes ainsi assassinés au lieu de la bouillie médiatisée et patriotarde que l'on connaît. 
 
« Post-scriptum : c’est la dernière fois que je vous importune avec mes chiffres terribles. Mais par comparaison avec le temps mis par les troupes alliées à descendre les Champs-Elysées lors du défilé de la Victoire, environ trois heures je crois, j’ai calculé que, dans les mêmes conditions de vitesse de marche et de formation réglementaire, le défilé des pauvres morts de cette inexpiable folie n’aurait pas duré moins de onze jours et onze nuits. Pardonnez-moi cette précision accablante.
A vous, ma vie... »

jeudi 31 mars 2016

Carte de loin (3)



S-C., le 30 mars 2016.

Je quitte le hameau de P., quatre maisons aux portes serties de vigne construites au pied du causse. Je grimpe bientôt à l'ombre d'une forêt de châtaigniers et de hêtres et, à mi-pente, débouche sur un grand champ où paît une centaine de brebis aux yeux cerclés de noir. Sous un chêne, près d'abreuvoirs en aluminium, le berger, un jeune type blond d'une trentaine d'années, dispose des blocs de sel. On se salue et entamons la conversation sans façon. 

Vêtu d'un bleu de travail, de bottes en caoutchouc et d'un tee shirt, il a croisé les mains sur son torse et garde le regard fixé sur les brebis. Comme beaucoup de paysans que je connais, il est d'une pudeur que poivre un accent dont la rugosité est prompte à la saillie. La sympathie est immédiate. Il est né à F., comme moi, et sa famille habite le hameau depuis plusieurs générations. Il a repris l'exploitation de son père il y a sept ans et se plait dans ce métier qui n'est pas dépourvu de solitude. « Quelle fille a envie de se marier à un paysan, aujourd'hui ? ». 

Bien sûr, nous parlons du prix de la viande et des difficultés que connaît la branche ovine. Les règlementations européennes le désarçonnent. Même si je sens chez lui un certain fatalisme, il est révolté par le puçage obligatoire de ses brebis. Il lève un index vers le ciel : « Vous vous rendez compte : ils peuvent suivre mon troupeau par satellite ! ». L'image déplaisante de cet espion arien plane un moment au-dessus de nos têtes. À cet instant, nous nous rappelons ce qu'est notre monde : une sphère bourdonnante sans centre ni périphérie qui fait de ce coin de bois l'illusion d'un refuge. Les syndicats ne font pas grand chose. Il ne se sent pas écouté. Il ajoute alors quelque chose qui me cloue : « J'ai lu La lettre aux paysans de Giono, c'est vrai ce qu'il écrit. ». Je lui demande comment il est arrivé à lire ce texte. Il me réponds qu'un ami lui a offert le bouquin et que, bien que sceptique au début, il a été conquis par les mots de l'écrivain. « C'est un type qui a compris ce qu'était un paysan ». Une bouffée de joie m'envahit à entendre les mots du poète ainsi confirmés par cet homme. Je comprends le sentiment de solitude qu'il doit éprouver dans une réunion de la FNSEA... 

Les brebis se sont rapprochées, sans doute attirées par le sel. J'ai encore un peu de chemin à faire avant la nuit. Nous échangeons deux ou trois mots puis on se sert la main. Il regagne son champ, je reprends mon ascension vers le plateau alors que se mélangent en moi les sentiments d'incomplétude et d'émerveillement qui me hantent chaque fois que je sors d'une bonne rencontre. Le causse apparaît peu à peu avec le vent. Je m'engage sur un chemin environné de muret en pierres sèches. Devant moi, un horizon de collines m'offre le ciel. Allons, j'ai encore assez de soleil pour rejoindre ma destination.

lundi 28 mars 2016

Carte de loin (2)





L., le 28 mars 2016.

La petite départementale serpente entre des champs de vignes et des bois d'yeuses. Nous roulons au milieu de ce paysage que Marc connaît bien. Il est né ici et, pendant 30 ans, en a parcouru les routes pour le compte d'une compagnie d'assurance. 
 
A sa retraite, il a été élu conseiller municipal à L. et a pu mesurer la part d'impuissance du politique face aux intérêts particuliers. Pourtant, malgré son âge et une retraite confortable, il ne s'est pas résigné à abandonner la res publica. Il est visiteur de prison et se rend régulièrement dans les maisons d'arrêt du pays. Je sais qu'il va de temps en temps Paris où il a pris quelques responsabilités dans les instances de cette association. Marc me fait penser à un romain de l'antiquité : le cheveux court et blanc, la peau halée, cet homme mince s'exprime avec la sobriété de certaines lettres de Pline le jeune lorsqu'il écrivait de sa villa de Stabies. Nous allons débroussailler les alentours de son cabanon qui se trouve près de T. Je devine l'attachement qu'il porte à cet endroit par le soin qu'il met à l'entretenir avec son épouse loin des tracas de la civitas
 
Quelques villas annoncent Marc que nous traversons bientôt. C'est un joli village de 3000 âmes perché sur un promontoir dominant l'A. Quelques rues en pente s'étoilent depuis des placettes ombrées par des platanes et une église au beffroi rectangulaire caractéristique des villages de la région. Avec les artisans et les fonctionnaires, vivent ici de vieilles familles paysannes qui cultivent encore la vigne et l'olive autour de la commune. 
 
Marc me montre sa maison natale. C'est un petit immeuble ocre du XIXe situé au milieu de la rue principale. Trois locataires lui permettent d'entretenir ce lieu où il a vécu une enfance entre deux parents qui ne s'aimaient pas et, plus tard, dans une pension tenue par des religieux qui furent l'origine du solide anticléricalisme qui le caractérise chaque fois que nous parlons de religion. 
 
A la sortie du village, nous nous garons devant la coopérative viticole pour y acheter quelques bouteilles. Le bâtiment, construit dans les années 30, a été refait récemment : on a enlevé le crépi pour dénuder les pierres et une grande porte vitrée permet au visiteur de distinguer, depuis le parking, les cuves et les bouteilles qui y sont entreposées. Là, chaque année, Marc fait presser les raisins de l'hectare qui s'étend devant son cabanon. Cinsault, Syrah et Mourvèdre composent un vin léger que nous boirons à midi. 
 
Après quelques kilomètres, nous arrivons au cabanon. Je suis frapppé par la beauté du lieu. La petite maison de pierres sèches est bâtie à mi-pente d'un vallon où vignes, pins et restanques cohabitent harmonieusement. Nous descendons de la voiture et je pense à Giono qui disait que tout le bonheur des hommes est dans de petites vallées. Marc sourit, conscient du charme qui saisit chacun des visiteurs qu'il amène ici. D'un geste auguste, et décidément très romain, il m'indique la vingtaine d'oliviers qui lui fournit, chaque année, quelques litres d'une huile très douce qui fait merveille dans une salade.

Nous sortons les outils de la camionnette. Machettes, sécateurs, rotofil, tronçonneuse... Les deux restanques qui surplombent la petite construction n'ont pas été nettoyées depuis cinq ans. La garrigue a repris ses droits : cistes et pistachiers, enserrés dans une salsepareille tenace, voisinent avec des buissons de chênes kermès. Nous nous mettons au travail pour profiter de la fraîcheur du matin et progressons bientôt dans les senteurs des buissons de thym que nous foulons au fur et à mesure de notre avancée. 
 
A midi, nous déjeunons sous la tonnelle du cabanon et c'est un plaisir que de se réjouir ici un verre de vin à la main. Le soleil de mars n'est pas mordant, le dos appuyé au mur du cabanon, je peux étendre mes jambes sous sa chaleur bienfaisante. Chaque fois que je porte le verre à ma bouche, je sens l'odeur de sève qui imprègne mes mains. Le silence nous enveloppe car il est trop tôt pour les cigales et, depuis que nous sommes ici, je n'ai vu passer qu'une seule voiture sur la petite route qui passe en contrebas. 
 
À deux heures, nous reprenons le travail pour couper à la machette les derniers buissons qui ont échappé au rotofil. J'en profite pour ramasser les pierres qui ont chu des murets. Lorsque le soleil effleure le sommet des pins, nous avons dégagé la totalité des deux restanques. Au milieu de l'une d'elle, Marc a épargné deux oliviers sauvages. "Je les grefferai dans quelques jours, dit-il". Le travail est terminé. Dans le vallon, l'air s'est fait bleuté, annonçant l'arrivée de la fraîcheur nocturne. Il est temps de rentrer.



mercredi 23 mars 2016

Pour un boycott actif de l'élection présidentielle




Il faut lancer, non pas une «primaire» mais une campagne de boycott de l’élection présidentielle pour délégitimer la structure actuelle du pouvoir.

Pourquoi une «primaire» à gauche ? La première motivation de ceux qui l’ont proposée est d’éviter de voir imposer à la gauche un candidat calamiteux et qui a fait ses preuves. Il s’agirait de donner à cette élection et donc, plus largement, à l’institution de la présidence élective, davantage de légitimité démocratique, en soustrayant le choix du candidat aux seules manœuvres tortueuses de l’appareil des partis.

Ces objectifs sont largement illusoires. Quel que soit le candidat choisi, on peut être sûr que, s’il est élu, il fera le contraire de ce qu’il a promis. Et puis, ce n’est pas une primaire ouverte qui conférera un caractère authentiquement démocratique à une institution d’inspiration profondément bonapartiste. En France, le pouvoir du président n’est limité par aucun contre-pouvoir réel, surtout depuis que la réforme constitutionnelle, qui a ramené la durée du mandat de sept à cinq ans, a pratiquement mis le président à l’abri du risque de «cohabitation».

Mais, aujourd’hui, le caractère non démocratique - en fait, antidémocratique - du système de pouvoir dans les pays développés tient à des causes infiniment plus profondes que le vice des institutions. C’est que le fonctionnement de la démocratie représentative se trouve radicalement faussé : le président et plus généralement les élus du pouvoir central agissent moins que jamais en tant que mandataires de leurs électeurs mais en tant que fondés de pouvoir du capital (les grosses sociétés, les banques et leurs organes bureaucratiques), comme le démontrent les politiques dites de «réforme» des gouvernements successifs. Certes, la démocratie représentative constitue dans son principe même - la représentation - une aliénation de la «souveraineté populaire» ; et quant à son rôle de courroie de transmission des injonctions du capital, il lui est consubstantiel. Mais la démocratie représentative était née d’un compromis négocié dans le sang des révolutions du XIXe siècle entre les exigences dictatoriales du capital et l’aspiration profonde des couches populaires à la maîtrise de leur vie et de leur destin collectif : aux détenteurs et aux gestionnaires du capital, la domination des rapports de production et d’échange et l’essentiel de la richesse ; aux citoyens prolétaires, certains droits limitant l’arbitraire capitaliste, une part, toujours à défendre, de la richesse produite par eux, la responsabilité de maintenir la paix civile et sociale, l’impôt du sang et une «souveraineté» politique en grande partie formelle. Aujourd’hui, il semble que le capital juge encombrantes ces institutions et parasitaire l’exercice de la «souveraineté du peuple», même tenue en lisière par le système représentatif…

La crise grecque a fait éclater au grand jour et avec une évidence théâtrale la rupture de ce compromis. Les personnages y ont joué crûment leurs rôles : mépris insondable des gestionnaires du capital pour la «souveraineté populaire» et inconsistance des représentants de celle-ci, qui se sont finalement comportés comme s’ils étaient profondément convaincus de l’insignifiance de leur légitimité démocratique…

Qu’on ne nous rabâche plus que capitalisme et démocratie libérale - le couple suffrage universel et «droits de l’homme» - sont génétiquement associés. Les contre-exemples abondent, à commencer par celui de la Chine. Mais sans chercher si loin : quand la France, les Pays-Bas et l’Irlande votent «mal», le pouvoir n’en tient aucun compte ; quand la «sécurité» entre en jeu, ce sont les pouvoirs de police qui se renforcent, et les libertés qui trinquent.
On peut se demander si cette perte de consistance des institutions prétendues démocratiques ne se répercute pas, chez ceux qui peuplent ces instances, en une inconsistance intellectuelle et morale. Le niveau des débats entre les candidats républicains à la présidence du plus puissant Etat du monde a de quoi nous donner froid dans le dos…

En France, on n’en est certes pas là, mais quelle médiocrité ! Face à l’énormité des problèmes ou des crises imminentes, une rhétorique creuse, une sottise rusée. Alors, à quoi bon une «primaire», si c’est pour avoir à choisir entre la peste et le choléra, ou entre tel et tel petit politicard, d’un sexe ou de l’autre.

L’impasse actuelle rend opportune une remise en cause du système politique - ou antipolitique - existant. Il faut lancer, non pas une «primaire» mais une campagne de boycott de l’élection présidentielle pour délégitimer la structure actuelle du pouvoir. Mais pour, du même coup, redonner un sens à la souveraineté populaire, il faut aussi que ce boycott ne se limite pas à l’abstention ou au vote blanc, mais débouche sur une intervention démocratique positive et que les partisans du boycott se regroupent, forment des comités et débattent, non pas du choix d’un individu, qui irait exercer le pouvoir à notre place, mais des transformations de l’organisation politique et sociale, qui redonneraient à chacun d’entre nous les moyens d’une existence décente et une prise sur notre destin collectif.

Par Hélène Arnold Traductrice Daniel Blanchard Ecrivain, traducteur Jacques Blot Auteur, comédien Jacques Signorelli, Michel Veyrières, Laurent Rivierretous sont d’anciens membres de Socialisme ou Barbarie et Fabien Vallès Compositeur Claire Lartiguet Professeure Richard Wilf Journaliste Jacques Duvivier Conseiller aux prud’hommes Gianni Carrozza Animateur de «Vive la sociale» sur FPP (106.3) Pierre-Do Forjonnel Enseignant retraité, ancien du 22 mars.

boycottactif@gmail.com


par le COMITÉ POUR UN BOYCOTT ACTIF DE L’ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE

lundi 21 mars 2016

Carte de loin (1)

 

L. le 19 mars 2016. 

Il y a cette gémellité, magie immédiate qu'il est difficile de dissiper, image trompeuse car les soeurs, sous certains aspects, ne se ressemblent pas du tout. 

Il faut creuser un peu, s'attarder chez elles, comme je l'ai fait, pour cerner leurs contours et découvrir que Karine a en elle une noirceur qui, de l'avis même de ses intimes, détonne : pour elle, le verre, à moitié vide, est empli d'une eau saumâtre. Lorsque je la regarde, je ressens, avec un plaisir frissonnant, le souffle des hauteurs abandonnées – c'est un automatisme poétique : le visage de Karine évoque un sommet que j'ai escaladé, quelques années auparavant, au plus désolé des alpes provençales. À trois milles mètres d'altitude, sur ce vaste crane de pierre dénudée où le vent sciait les yeux, j'avais goûté le plus vif de cette solitude et éprouvé l'absence de toute présence divine, la preuve de l'irrémédiable solitude de l'homme. J'avais éprouvé cette ascension comme un avertissement : la désolation ne s'offre qu'aux athées conséquents. 

A mes yeux, Karine traîne avec elle un monde aux enveloppements ténébreux où les événements fonctionnent à l'instar de pieuvres aux yeux de soie. C'est un univers fait de velours dangereux, de ciels tourmentés, d'espoirs battus en brèche, tout un barnum d'effets atmosphériques qui donne à sa présence la beauté d'une entrée de tempête. 

Quant à Lucile, c'est évident : elle est le lendemain de cette tempête, le signe que tout déchainement aspire au nirvana et que les gouttes d'eau qui perlent aux aiguilles des pins peuvent transcender leur état de fouet pour accéder à celui de perles. Lucile n'est pas seulement douce, elle sourit avec précaution, déposant sur les êtres et les choses un or qui rassérène. J'adore sa façon de saisir les choses avec une curiosité qui hésite entre l'émerveillement et un clin d'oeil à la « vous-m'avez-compris ». 

 

mercredi 16 mars 2016

On a fait son baluchon...



...et on va se balader dans le monde réel, faire quelques rencontres, discuter un peu, couper du bois, prêter la main aux amis et aux inconnus, gravir deux ou trois collines pour voir ce que ça donne. Pour le courrier, laissez tout au bar du coin qui transmettra. J'enverrai une carte de temps en temps. 
Love.

Ba-be-bi-bo-bu


Il me faut un ami sûr, une femme aimable, une vache et un petit bateau.

Jean-Jacques Rousseau