1926 - 2016
mercredi 9 mars 2016
mardi 8 mars 2016
Que faire ?
Une revue universitaire vient de nous poser l’une de ces questions qui remplissent les bibliothèques de livres et les penseurs d’angoisse depuis 1945 : « Quelle forme est-il encore envisageable de donner à la résistance ? Peut-on espérer voir se lever les populations superflues contre le capitalisme technologique et ses soutiens politiques ? »
Il faudrait pour répondre à pareilles questions avec une certitude scientifique, maîtriser la théorie du chaos et connaître la situation dans toutes ses conditions initiales et toutes les chaînes de réactions qu’elles peuvent déclencher. Heureusement, ni les big data, ni les logiciels des sociologues et de la Rand Corporation, malgré tous leurs modèles, ne peuvent encore traiter l’avenir comme un mécanisme programmé.
Le plus sage serait de dire, oui, on peut espérer un tel soulèvement, mais ses formes, par nature, sont indéterminables, et c’est d’ailleurs ce qui en fera un véritable soulèvement et lui donnera une issue possible. Nous n’obéissons à nul destin. Tant qu’il y aura de la vie et de l’humain, l’irréductible liberté nous ouvrira une issue de secours.
Distique élégiaque
Nil nimium, studeo, Caesar, tibi uelle placere
Nec scire utrum sis albus an ater homo.
Je n'ai pas plus envie de chercher à te plaire,
César, que de savoir si tu es blanc ou noir.
Catulle
Catulle
Radio libre
J'écoute une des
dernières « radios libres » du coin. Il n'y a pas de
publicité et, en dehors de ce qui est dit sur ses ondes, et qui, par
sa charge critique la place résolument en dehors de ce que l'on
entend sur les radios privées et d'état, deux choses me frappent à
son écoute.
La première : le rythme
des émissions adopte une marche qui n'est jamais précipitée.
L'enchaînement des séquences, et tout particulièrement des
chansons, se fait avec une certaine indolence et il y a toujours
quelques secondes de silence entre l'annonce d'une chanson et sa
diffusion. Ce « blanc » là serait, non seulement
considéré comme une hérésie, voire une faute professionnelle sur
une radio périphérique ou nationale, mais serait aussi perçu
désagréablement par les auditeurs à la façon d'une panne
technique ou comme « quelque chose qui ne va pas ». Sur
ma « radio libre », ce blanc là m'apparait comme une
respiration bienvenue dans l'existence sans temps morts qu'est la vie
contemporaine. Ainsi, lorsque l'animateur annonce Out fort the
week-end et que j'entends ces quelques secondes de silence puis
le bruit du diamant se poser maladroitement sur le micro-sillon avant
que la voix de Neil Young ne résonne dans mes oreilles, cela
m'apparait alors comme tout aussi revendicatif et critique de l'état
actuel des choses que les propos des animateurs.
Seconde impression :
la satisfaction que j'éprouve à entendre le ton des animateurs de
cette radio. C'est le ton d'une conversation entre égaux, le
discours d'un individu qui appuie son discours sur aucune autre
autorité que lui-même, au risque, bénéfique, d'être contredit.
On est loin de la parole de l'expert, du journaliste, du politicien,
de l'intellectuel médiatique ou de l'animateur professionnel. Ici,
ce ton possède la chaleur de la parole humaine. Parfois maladroite,
souvent mal assurée (certains « heu » sont les virgules
du doute), elle laisse la possibilité à l'auditeur de la nier, de
la critiquer, voire de s'en défier si ce n'est de l'apprécier pour
ce qu'elle est : la parole de quelqu'un qui en sait, à peine,
plus que vous. Tout le contraire des intervenants professionnels à
l'efficacité si quotidienne dont l'exemple le plus caricatural est
le ton péremptoire, et les accentuations parfois comiques, des journalistes économiques qui semblent, même quand il s'agit de dire
littéralement n'importe quoi, toujours absolument concernés et
informés. Un ton qui fonctionne surtout comme une manière
d'auto-vérification permanente de leur importance. Et vient toujours,
à l'écouter, l'idée qu'ils doivent immanquablement causer ainsi à leurs
proches lorsqu'ils demandent le sel.
Je pense alors, pour
finir, à cet extrait du livre de Pierre Eyguesier, Psychanalyse
négative, qui traite de ce ton là : […] la langue est
imprégnée, à un très haut degré dont elle n'est pas consciente
elle-même, par le monde de la technique, de l'efficacité, de la
rationalité et de la prévisibilité. J'aurais pu aussi citer Marthe
Robert, qui la première s'est inquiétée de la rigidité du ton, de
cette façon qu'ont les hommes et les femmes qui parlent au poste, de
télé ou de radio, d'adopter tous la même musique, d'insister par
exemple sur certains mots soi-disant plus significatifs pour le
message, mais dont l'effet sur les têtes qui les écoutent est
proprement débilitant (si on fait sentir sur quel mot je dois faire
porter mon attention, c'est parce que je ne suis pas en mesure d'en
décider seul, donc je suis débile). »
lundi 7 mars 2016
Dissiper l'ombre de l'angoisse
La règle fondamentale ne peut être
mise en oeuvre qu'à la condition que l'analyste ait fait entendre à
son analysant potentiel à quel point il est en rupture avec cet
ordre social qui conduit les sujets au mutisme, à la panique face à
la « pause » que son silence réalise. C'est ainsi que se
dissipera peut-être « l'ombre de l'angoisse qui s'étend
lourdement sur tout ce qui reste de discours ». Compte tenu de
tout cela, on admettra que l'analyste doive aujourd'hui donner de la
voix, qu'il prête éventuellement des livres, et qu'il n'ait pas
peur d'entraîner son patient sur les rayonnages de sa bibliothèque
mentale, si possible élargie à d'autres auteurs que les maîtres de
la psychanalyse...
Pierre Eyguesier, Psychanalyse
négative.
On lira avec profit l'excellent article du Moine Bleu consacré à ce livre. De même, on pourra aussi lire l'interview de Sébastien Dupont sur ce qu'il nomme l'autodestruction du mouvement psychanalytique.
On lira avec profit l'excellent article du Moine Bleu consacré à ce livre. De même, on pourra aussi lire l'interview de Sébastien Dupont sur ce qu'il nomme l'autodestruction du mouvement psychanalytique.
jeudi 3 mars 2016
Années
Et en effet les femmes qu'on n'aime plus et qu'on rencontre après des années, n'y a-t-il pas entre elles et vous la mort, tout aussi bien que si elles n'étaient plus de ce monde, puisque le fait que notre amour n'existe plus fait de celles qu'elles étaient alors, ou de celui que nous étions, des morts ?
Marcel Proust, Le temps retrouvé.
mercredi 2 mars 2016
Chez Casto
L'aliénation trouve ses conditions, au-delà de l'inconscient individuel et du rapport inter-subjectif qui s'y joue, dans le monde social. Il y a, au-delà du "discours de l'autre", ce qui charge celui-ci d'un poids indéplaçable, qui limite et rend presque vaine toute autonomie individuelle. C'est ce qui se manifeste comme masse de conditions de privation et d'oppression, comme structure solidifiée globale, matérielle et institutionnelle, d'économie, de pouvoir et d'idéologie, comme induction, mystification, manipulation et violence. Aucune autonomie individuelle ne peut surmonter les conséquences de cet état des choses, annuler les effets sur notre vie de la structure oppressive de la société où nous vivons.
Cornélius Castoriadis, L'institution imaginaire de la société
mardi 1 mars 2016
Verre à vitre
Tous les écrivains sont vaniteux,
égoïstes et paresseux, et à la racine de ce qui les pousse à
écrire réside un mystère. Écrire un livre est une lutte horrible
et épuisante, c'est comme un long accès d'une douloureuse maladie.
Personne ne voudrait jamais entreprendre une tâche pareille s'il
n'était poussé par quelque démon irrésistible et
incompréhensible. Pour le peu qu'on en sait, ce démon est
simplement ce même instinct qui pousse un bébé à hurler pour
qu'on s'occupe de lui. Et en même temps, il est également vrai de
dire qu'on ne saurait rien écrire de valable sans livrer une lutte
constante pour effacer sa propre personnalité. La bonne prose est
comme un verre à vitre.
George Orwell, cité par Simon Leys
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