vendredi 8 janvier 2016
jeudi 7 janvier 2016
Une fleur au fond de l'eau
L'été s’ouvre sur un orage violent escorté d'un puissant parfum de pierres trempées. Lorsque nous sortons du cinéma, le ciel racle les toits en jetant la pluie par poignée. Nous courons à travers des rues vouées au sens unique de l'eau. Lucile me mène au centre de la ville dans l'hôtel particulier où elle vit avec sa mère et ses cousins. Nous franchissons la porte en bois ouvragé avant de grimper un escalier de marbre jusqu’au premier étage. Raphaël nous ouvre et sa tête blonde surgit de la pénombre. Il embrasse sa cousine et me serre la main avant de disparaître au fond de l'appartement. Lucile m'explique que, depuis le divorce de ses parents, il se fait un peu d'argent en jouant au poker.
- La chambre est immense. Ses deux fenêtres donnent sur les réverbères de la rue. Dans la clarté aquatique, le plafond resplendit d'angelots en moulure. Au fond de la pièce, je repère un lit à baldaquin orné de velours rouges. Lucile pose son sac sur le fauteuil, se déshabille puis s'agenouille sur le couvre lit. Elle me fait penser à une madone avec ses cheveux noirs qui lui descendent jusqu'aux fesses. Elle à une grande bouche et des yeux marrons très doux. Sous l'ombilic, son sexe est une pelote d'ombre. J'ai dix sept ans, la gorge serrée et les vêtements trempés.
- Je plastronne un peu, plus pour me rassurer que pour l'impressionner. Lorsque je me déshabille et me glisse à ses côtés, Lucile murmure quelque chose que je ne comprends pas et m'embrasse. Ses seins et son ventre me paraissent terriblement doux. Ses jambes m'enlacent, elle s'ouvre puis m'accueille. Plus tard, nous parlons dans le tambour de la pluie jusqu'à ce que la nuit nous enveloppe. A ses côtés, l'orage est bienveillant.
- Je me souviens d'une de nos conversations. Nous sommes assis, nus, face à l’autre. Moi, les yeux fixés sur son entrejambe, elle, souriant à chacune de mes questions - j’ai gardé l’habitude de sonder sans relâche celle avec qui je suis. Lucile me répond par des silences qui n’ont rien de frustrant. Je suis curieux d’elle, bourré de désir. Elle me montre son sac, répand ses affaires sur le lit, j’ai l’impression de compulser des documents secrets. Elle place mes mains sur son corps et m’indique les endroits où il faut que je m’attarde.
- - Qu’est-ce que tu regardes ?
- Ton
sexe.
- Et
qu’est-ce que tu y vois ?
- Je
ne sais pas…
Elle
écarte doucement ses lèvres.
-
Moi, je trouve que ça ressemble à une fleur. Une fleur au fond de
l’eau. Je ne crois pas qu’il y ait autre chose à voir.
Nous
entendons parfois un bruit au fond de l’appartement : une chaise
que l’on bouge, une porte qui se referme doucement. Sa mère est
rentrée. Je ne la verrai qu’une fois en partant, bonjour jeune
homme, bonjour madame. La maison n’a rien de triste. Tout y est
propre, joyeux et organisé, comme dans ces maisons de femmes qui ont
compris que, pour les choses les plus importantes, il ne faut pas
compter sur les hommes.
Je
garde la sensation d’avoir passé de longs moments avec Lucile.
Pourtant, nous n’avons dû nous voir que deux ou trois après-midi
où elle m’a appris qu’on pouvait laisser filer le temps sans
dommage. Avec elle, le présent suffisait.
Quelques
années après, alors que j’étudiais à Marseille, je croisais un
type qu’on appelait le licenciado Mirales depuis qu’il avait
passé une année au Mexique. Comme cela faisait un moment qu’on ne
s’était vu, nous allâmes boire un verre à l'Unic, au début de
la rue Francis Davso. Le licenciado Mirales me donna des nouvelles de
Lucile. Elle vivait à Lyon et avait épousé un funambule. Un
funambule, tu es sûr ?, avais-je demandé au licenciado. Aussi
sûr que je te vois, avait-il répondu. Un funambule authentique,
avec diplôme de l’école du cirque et numéro à l’avenant.
Cette nouvelle me fit plaisir. Sans pouvoir expliquer pourquoi, je me suis dit que c’était dans l’ordre des choses.
Cette nouvelle me fit plaisir. Sans pouvoir expliquer pourquoi, je me suis dit que c’était dans l’ordre des choses.
mercredi 6 janvier 2016
Lettre de loin (quand on vient à pied)
Cher Vieux,
(…) Tu imagines que je connais la rengaine. On te dira : mais
vous avez un boulot, de quoi vivre, des horaires réguliers, de quoi
vous plaigniez-vous ? Beaucoup de gens n'ont même pas dix pour
cents de ce que vous avez ! (Note que ceux qui te sermonnent
emploient souvent le vocabulaire des managers.)
Que veux-tu répondre à celui qui, le plus souvent, masque le vide
de sa propre existence derrière un tel discours ? Ceci dit, il
suffit, pour le voir se décontenancer, de lui demander d'imaginer ce
qu'il ferait s'il ne travaillait pas. La pauvreté de ses réponses
aurait de quoi te fendre le coeur, mon pote.
Que veux-tu dire à ce croyant là – le culte du travail est une
religion avec ses prêtres, ses bedeaux et ses fidèles – quand le
ventre serré, on se rend au chagrin en se disant que ce chemin, nous
le verrons encore dix mille fois avant une hypothétique retraite à
petits pas ?
Comment faire comprendre à ce type qu'on s'étouffe à l'idée que
notre boulot, comme des millions d'autres, contribue
à la dégradation de tous les êtres ? Et tu peux juger, à
l'aune des destructions actuelles, des dimensions de la pulsion de
mort qui habite nos dominants.
Comment lui faire piger que nos rêves parient sur un arrêt brutal
de cet ordre des choses ? Et chacun, selon son caractère ou sa
constitution de rêver à un Grand Soir, à un retrait du monde dans
quelque campagne épargnée, à une maladie utile ou à un héritage
soudain.
Mais comment rêver à mieux quand, dès le premier pas de côté, on
se retrouve face à un mur de peur entretenue dont les moellons
portent les doux noms de précarité, de répression policière, de
mise à l'écart, de solitude, de marginalité, de pauvreté, de
qu'en-dira-t-on et de loyer à payer... (Dans cette zone mouvante,
jamais fantasmes et réalité n'ont formé de couple aussi vénéneux).
Pourtant, il faut rêver et ne pas lâcher nos songes. Ceux-ci sont
par trop liés à la vie. Il faut entretenir ce foyer là, alimenter
l'impossible – ou ce qui semble l'être depuis les crédits qui
nous sont alloués. Il faut qu'un si beau spectre continue à hanter
ce qu'il reste de nos vies. Et, dans ce domaine là, toute
initiative, aussi modestes soit-elle, est bonne à prendre. Car,
quand bien même surviendrait l'échec, cette tentative (le bon
Sartre dirait : « J'ai posé un acte ») aura produit ce
sens qui manque tellement à nos vies aliénées. La lecture de
l'histoire doit nous y inciter : la plus frêle des étincelles
a souvent provoqué les incendies les plus salvateurs.
Il faut partager nos désirs pour ne pas rester ce rêveur isolé
qu'apprécient tant nos ennemis – et qui n'a pas compris dans
quelle guerre de classes nous vivons tiquera, évidemment, sur ce
terme. Ici, le partage de cet art de la désertion, ce geste qui
nous fait brandir l'étendard de la bonne vieille cause, l'envie
d'utopie – que l'on glane ses idées dans les greniers ou dans un
futur que nous aimons à imaginer – constituent les armes non
suffisantes mais nécessaires de notre survie.
Vois-tu, je rêve de rassemblements informels, à la façon des
Folles de mai, le soir sur des places publiques. Pas de mot d'ordre,
pas de sélection, pas de pattes blanche. On arriverait, mains dans
les poches, timides puis, heureux de se voir plus nombreux, on
discuterait. On ne serait plus seul. Ce pourrait être inquiétant,
pour nos ennemis, ces rassemblements qui s'initient avec pour seul
signe de ralliement une brindille d'acajou. « Ça ne va
pas : voilà pourquoi. Et voilà ce que je voudrais à la
place... ».
Il s'agirait de faire corps, modestement. De rompre l'isolement. Ce
serait un début, tu ne crois pas ?
Je t'embrasse,
V.
PS : J'aime assez ton blogue, il me donne parfois l'envie de
reprendre le mien. Ceci étant dit, vu la catastrophe présente, je
pense qu'il faudrait cesser de pleurnicher devant
nos écrans. Peut-être nous faudrait-il descendre sur ces fameuses
places et faire corps avant que nous n'en n'ayons plus le choix.
mardi 5 janvier 2016
Plus poétique que mille recueils
"Trouver sa base en s'élevant", aime dire Patrice de la Tour du Pin. J'écoute l'air. Après la tension de la découverte, une vibration vous enveloppe. L'environnement imprègne la pensée ; il la génère, la structure presque "génétiquement" ; l'espace a une présence physique : il est habité. L'aigle continue à voler, il décrit de larges cercles, et se rapproche. Des baleines blanches bondissent en groupe et plongent avec grâce.
Cependant que l'Allée des baleines, dans la singularité de ses arches, son poste de guet ( agixsylgaq en haut de l'allée ), son dédoublement s'impose comme un des lieux majeurs du détroit de Béring, les questions continuent à s'entrecroiser dans mon esprit. C'est le petit matin. Je me suis adossé à un crâne et médite face à l'île Aramchechen. L'air, dénué de volume, commence à trembler aux rayons du soleil.
Jean Malaurie, L'Allée des baleines
lundi 4 janvier 2016
Le plus splendide des isolements
Cinq années avec Amélie ne peuvent se résumer qu'à la hache, lame automatiquement miséricordieuse qu'il me faudra serrer plus fortement qu'à l'ordinaire. Et qu'est-ce que l'ordinaire sinon l'accumulation sans joie de jours semblables ?
J'ai
connu Amélie au milieu d'une solitude choisie. Ma sœur fêtait son
anniversaire dans un vieil appartement du centre-ville. Sous les
poutres scarifiées par les marques des charpentiers,
les discussions, la musique et les allées et venues faisaient comme
un gros pâté sonore. Un verre de vin à la main, je m'étais assis
près de l'entrée pour me distraire du spectacle des arrivées.
Quand Amélie ouvrit la porte, je vis apparaître un chaton chantant
les louanges du plus splendide isolement : une frange courte de
cheveux noirs, des yeux très doux et un minois rendu moderne par une
bouche tressée de tulipes. Sa robe de velours mauve la serrait de
près, révélant un corps menu à la poitrine charnue. L'effet
passé, je vis une jeune fille, rendue gauche par sa timidité, qui
hésita un moment dans l'encadrement de la porte. Comme cela
contrastait avec les roues hâbleuses de certaines invitées !
Je la
rejoignis près du buffet. Sa conversation nous évita les
coagulations pénibles de la drague. Elle aimait un turc de Taksim
rencontré à la faculté. Je pris beaucoup de plaisir à l'écouter
parler d'Istanbul, de la crainte qu'avait son ami de partir traquer
le kurde lors de son service militaire. Ce soir là, elle repoussa
mes avances, non sans garder un moyen de me joindre, et quelques
semaines après, comme le Saljûqide lui imposait un lien
proportionnel aux vagues qui la séparaient du Bosphore, elle ne me
repoussa plus.
Quels
évènements confortent en vous l'idée que l'aimée vous va ? Est-ce
un mot dans le courant d'une conversation ? L'atmosphère qu'elle
sait créer autour de vous ? Cette façon, pour l'air, de se
densifier quand elle entre dans la pièce ? Un acte ? Une façon de
réagir ? Où, comme le dit Truffaut, ce moment où vous réalisez
que vous agissez contre vos intérêts – preuve absolue dans une
époque qui voue un culte féroce au retour sur investissement ?
Après
qu'elle se fut installée dans ma maisonnette, Amélie glissa comme
une loutre dans les pelisses décrites plus haut. Une seule,
cependant, retint mon attention au point que l'épisode devint, par
sa force d'impact, une manière d'étalon. Un jour que nous nous
baignions dans les eaux d'un torrent que j'aime par dessus tout,
j'observais avec quelle évidence Amélie se lovait dans ses creux.
En apportant une preuve aussi éclatante de son appartenance à ce
lieu, Amélie montrait combien elle s'incorporait à ma vie. A
regarder l'eau l'épouser au plus rapide de cette baignoire de
schiste, je compris que j'aimais Amélie car jamais ce lieu qui me
fondait n'aurait rendu un tel hommage à une usurpatrice.
Amélie
avait, dans le balancement du plaisir, un sourire qui en épurait les
scories. Son bonheur recouvrait notre chambre d'or tranquille. Dans
le roulis, ses seins étaient comme deux barges de débarquement. Ce
n'était pas rien, ce don, dans l'océan où nous nous débattions.
J'ai aimé son calme, son habileté à détailler la beauté, cette
attention aux souffles les plus légers. Ai-je dit que nous aimions
les livres ?
Son
père, un breton de Saint-Vaast, avait exercé plusieurs métiers –
marin, photographe, vendeur de planches à voile – avant que les
premiers vents de la crise ne lui fassent reprendre ses études
d’architecte. Il avait installé sa caravane sur un terrain situé
sur l’ancien marais qui s’étend de Grimaud à Cogolin, entre une
vigne et un ruisseau masqué par les joncs. Quelques temps après son
arrivée, il en avait retiré les roues et construit sa maison
autour. Ces débuts donnèrent une marque de poésie manouche au
lieu : enveloppée d’arbres, la maison participait du mas et
de l’hacienda. À l’intérieur, il me semblait parcourir les
coursives d’un voilier. La sociabilité de cet homme nous fit
connaître la société de ceux qui huilent les machines de l’été
tropézien. Cuisiniers, serveurs, chambrières, skippeurs, vignerons,
maçons, jardiniers, patrons de boite de nuit, plongeurs – il
venait même un millionnaire, homme triste et affable que la mort de
sa femme avait laissé désemparé.
Cinq
années paisibles s’écoulèrent. Amélie était douce, patiente,
souvent angoissée par la fin de ses études et une appréhension
suffisamment juste du monde pour ne pas se précipiter sur le premier
boulot venu. Cinq années où Amélie m’offrit une paix que je
réussis à capter dans les interstices. Grâce à son amour, le
chaos qui m’habitait se maintenait dans des frontières qui
permettaient à notre couple de vivre. Elle étudiait l'histoire de
l'art et écrivit un mémoire sur certains hôtels particuliers
de la Régence.
Souvent,
Amélie, à peine éveillée, glissait sous les couvertures pour me
prendre dans sa bouche. Les yeux fermés, je m’arrimais à elle,
l’entourant de mes bras et de mes cuisses pour me laisser porter
par le rythme de sa tétée. Selon l’humeur, nous donnions un
prolongement à ce premier éveil. Parfois, Amélie buvait et un
fleuve nocturne abandonnait son limon entre ses lèvres. Cet apex
était attendu par une bouche qui avait la plus grande méfiance pour
les réalités du jour. Les lèvres d'Amélie étaient gonflées par
un souffle délicat. Buveuse, mangeuse, goûteuse, fumeuse, sa bouche
était l’instrument favori de son rapport au monde.
C'est
au soir de je ne sais quel hiver. Au-dehors la neige n’a cessé de
tomber depuis le matin et recouvre le pays qui voit ses routes et
l’électricité coupées. Le monde a repris taille humaine, il se
meut désormais à la seule force des pieds. Amélie est assise face
à la cheminée. Son profil danse doucement. Il n’y a plus de
téléphone, plus de mensonges, il n’y a plus que les collines et
les arbres autour de la maison immobilisée par les flocons. Sur la
table, il y a un bol empli de noix, deux livres et son paquet de
cigarettes. Je suis allé chercher du bois. Demain, je n’irai pas
travailler. Amélie me regarde : voilà le monde que nous désirons.
Nous nous enlaçons face aux flammes. Son parfum est une poudre
étoilée, sa bouche se pose sur mon cou. Le silence nous enveloppe.
Tissé par l’instant, le présent redevient quelque chose de
possible.
Nous
sommes allé dîner au Puy en Velay après une journée à lézarder
devant la maison qu'on nous a prêté près du lac du Boucher. Dans
un restaurant de la vieille ville, nous mangeons deux pigeons
accompagnés d'une bouteille de ce Chanturgue qu'Amélie a voulu me
faire connaître. Ce vin m'étonne. Amélie m'assure en souriant que
César en fait mention dans la Guerre des Gaules. J'aime la façon
dont sa main, fine, à peine veinée, entoure son verre et décortique
la chair du volatile. Elle boit jusqu'à en avoir les joues roses et
me donne à chaque fois l'impression de laper une source. Quand nous
sortons, les lampadaires qui éclairent la ruelle sont éteints. Nous
sommes un peu saouls. L’air sent le feu de bois et la pierre
humide. Amélie m’embrasse et son rire s’élève pour annoncer
l’An mille.
Est-ce
l’ennui, si tôt inséminé en moi, qui me fit tout foutre en
l'air ? Je tombais amoureux de Manon et m'échinais à
maintenir l'habituel triangle malheureux. Avec ce recul qui nous fait
gagner Waterloo, je me dis qu'une simple pause dans l'incendie
m'aurait évité bien des brutalités.
Un
matin, peu de temps avant notre séparation, Amélie me laissa un
petit poème dont je n'ai gardé que cette phrase : «
Pauvre idiot, c'est une ombre à trois ailes qui t'a chassé du
paradis.»
dimanche 3 janvier 2016
C’est contre ça que nous perdons
Quatre mois après notre séparation, nous nous sommes croisés dans une rue du centre ville et, après quelques minutes d’une discussion rendue surréaliste par l’hésitation, sommes allés prendre un verre dans l’arrière salle d’un bistrot situé non loin de la cathédrale. Les vieilles sensations revinrent en un clin d’œil, vives, soudaines, au point de gommer ces quatre mois en un baiser.
Comme
tous les anciens amants, nous nous sommes remémoré nos étreintes,
cette sève qui ne veut pas disparaître, avant de nous disputer
gentiment sur les raisons de notre séparation. Comme les anciens
amants, nous ne nous sommes pas menti car le territoire que nous
parcourions à présent n’avait que faire de l’illusion. Comme
les anciens amants, nous avons menti car nous savions que dans ce
lieu étrange où les amours refusent de mourir, la douleur ne sert à
rien. Comme les anciens amants, nous savions qu’il nous faudrait
vivre avec cette blessure et que celle-ci, suivant le jour et l’angle
projeté par l’ombre, nous grandirait ou nous réduirait à un ego
secoué par des souvenirs. Sans doute était-ce là toute la sagesse
dont nous avons été capables car, pour le reste, nous nous sommes
embrassé à pleine bouche durant les trois heures que nous avons
passé dans ce bistrot.
Nous
sommes sortis au crépuscule. Une pluie fine recouvrait la ville
d’une peau de truite. Il faisait bon. Je l’ai raccompagné
jusqu’à sa voiture. J’ai constaté que la Renault avait été
remplacée par un luxueux break noir de marque étrangère. Je n’ai
fait aucune remarque et j’ai laissé Anaelle s’installer derrière
le volant.
On
s’est regardé une dernière fois en silence. Dans ses yeux, j’ai
retrouvé ce que j’avais tant vu l’année où j’avais tenté de
changer sa vie : de l’amour et une tristesse que minait déjà
l'inquiétude. Je l’ai embrassée puis je me suis reculé pour la
regarder. Le désir et la raison devaient être confiés au hasard,
nous nous étions suffisamment brûlés pour le savoir.
Quand
elle a glissé la clef dans le contact, le tableau de bord de la
voiture s’est illuminé. Cela a été comme un éclair. Diodes
vertes, écran de contrôle sophistiqué, GPS, compte-tours… J’ai
eu l’impression de me trouver devant l’habitacle d’un avion de
ligne. C’était le luxe, la technologie, la sécurité, le confort.
C’est contre ça que j’ai perdu, j’ai pensé. C’est contre
ça que nous perdons. Elle a refermé la portière et je suis parti.
mardi 22 décembre 2015
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